Lettre CIPES n°15

Depuis la rentrée, plusieurs évènements se sont tenus dans le cadre du projet CIPES.

– Une journée de travail avec les militant·es le 15 octobre, axée sur les relations école-familles 
– Une réunion des équipes enseignantes le 8 novembre, axée sur la même thématique
– Le 15 décembre se tiendra une réunion avec les chercheur·es, axée sur le travail d’analyse des données issues des observations, entretiens et débriefings.

Expérimentation CIPES : les parents en situation de pauvreté veulent être « acteurs dans l’école de leurs enfants »

L’équipe du projet CIPES (Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation) a réuni le 15 octobre, à Montreuil, neuf militants et militantes Quart Monde, pour réfléchir ensemble aux relations entre l’école et les parents et analyser les initiatives prises par les écoles engagées dans le projet.

Treize établissements scolaires en France participent à l’expérimentation CIPES. Ils se sont engagés notamment à « réexaminer sérieusement les procédures d’orientation vers l’enseignement adapté ou spécialisé » et à « prendre en charge, dans le cadre d’une école inclusive, les difficultés que les enfants issus de familles en situation de grande pauvreté rencontrent parfois à l’école« , selon le cahier des charges. Depuis le début de cette expérimentation lancée en 2019 par ATD Quart Monde, ces établissements sont accompagnés par des membres de l’équipe de coordination du projet, des chercheurs, des formatrices de l’AGSAS, mais aussi par des parents ayant eu un parcours difficile à l’école.

Figure 1 : Le groupe de travail de la journée CIPES du 15 Octobre 2022, devant la fresque réalisée en commun.

Neuf militants Quart Monde, ayant participé à des observations dans les écoles concernées par l’expérimentation,ont ainsi réfléchi le 15 octobre dernier, avec l’équipe de coordination, à l’impact d’une action menée dans une école maternelle appartenant au réseau d’éducation prioritaire renforcée, engagée dans le projet à Lyon. Travaillant sur sur le sens des apprentissages, l’équipe enseignante de cette école a en effet constaté qu’elle ne savait pas ce que les parents pensaient et attendaient des apprentissages effectués par leurs enfants à l’école. Un questionnaire comprenant trois questions a donc été réalisé et distribué aux parents d’élèves en février 2022. « Les enseignants ne s’attendaient pas à des réponses aussi riches. Cela a changé de façon radicale leur regard sur les familles », a souligné Dominique Reuter, chercheuse, alliée d’ATD Quart Monde et membre de l’équipe coordinatrice.

Quelques mois plus tard, un café des parents a été organisé, auquel une trentaine de parents ont participé. Au-delà de leur volonté de voir leurs enfants « bien compter, bien parler, bien écouter » ou encore « construire des outils pour structurer leurs pensées », ils ont tenu à partager leurs soucis et leurs préoccupations. Ils ont alors évoqué, outre les apprentissages disciplinaires, le manque de confiance en soi et la timidité de certains enfants, la nécessité de travailler la sociabilité, le problème des moqueries, ou encore les insultes qu’ils ne souhaitaient pas que leurs enfants apprennent en classe. Un dialogue entre enseignants, Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), parents et agents de service s’est peu à peu instauré.

Conditions du déclic pour une meilleure communication

« Le fait que les enseignants fassent la démarche d’aller demander aux parents ce qu’ils en pensent, cela n’a l’air de rien, mais c’est un pas énorme », a souligné Dominique Reuter, en introduction de la réflexion avec les militants Quart Monde. Ces derniers se sont alors penchés sur les conditions nécessaires pour que ce déclic se produise. « Souvent, on ne demande pas leur avis aux parents. Souvent, on est spectateur, on veut être acteur dans l’école de nos enfants. On subit trop les choses, on n’a rien à dire. Mais comment s’assurer que tout le monde comprenne bien les questions posées ? Comment s’assurer que les parents expriment bien ce qu’ils pensent et non ce qu’ils imaginent que les enseignants attendent d’eux ?« , s’est interrogé Vincent Espejo-Lucas.

Pour Franck Lenfant, ce questionnaire « peut permettre aux parents de faire la paix avec l’expérience qu’ils ont subie eux-mêmes. Ils ont été maltraités, ignorés, méprisés, jugés parce qu’ils n’étaient pas très propres, parce qu’ils faisaient partie d’une communauté… Rentrer dans une école quand tu as été traumatisé, c’est très difficile. Le jour où ils arrivent à entrer dans l’école, c’est un grand pas. » « On a tellement été mal vus quand on était jeunes qu’on se met parfois des limites« , a ajouté Béatrice Mouton.

Figure 2 * : Béatrice Mouton, Émilie Théron et Franck Lenfant, Militant.es Quart Monde. Atelier de réflexion.

À plusieurs reprises, a été posée la question de l’implication des familles d’accueil : si la famille d’origine de l’enfant reste la référente administrative pour l’école, comment faire pour associer les personnes qui vivent au quotidien avec l’enfant et se sentent concernées par ce qui se passe à l’école ? Béatrice s’en est indignée : « C’est la mère qui prend, alors qu’elle n’est même pas au courant ! ».

Murielle Gélin a pour sa part rappelé que « les professeurs ne sont pas forcément formés pour aller vers les parents« . Les militants Quart Monde ont ainsi estimé que ce type de questionnaire « peut faire changer la relation profs-parents« , comme l’exprime Georges Mouton. Vincent Espejo-Lucas a cependant indiqué la nécessité de faire en sorte que tous les parents puissent y répondre. Franck Lenfant a pointé qu’il ne faut cependant pas chercher à généraliser un « questionnaire type« , car cela reviendrait à retomber « dans un fonctionnement scolaire académique classique », duquel les parents se sentent souvent exclus.

« Une relation d’égal à égal »

Cette journée d’échanges s’est poursuivie autour de la question plus générale de la communication entre l’école et les parents. Les militants Quart Monde ont ainsi pu exprimer ce qui leur semblait primordial pour que le dialogue soit fluide. Cela passe par exemple par des entretiens avec chaque famille, auxquels les parents sont invités « et non convoqués, sinon on a l’impression d’aller chez le juge ». Ces entretiens peuvent être l’occasion pour les enseignants de prendre conscience que les parents ont des choses à leur apprendre sur leurs enfants, leurs passions, leurs facilités, leurs difficultés…

Le corps enseignant doit aussi penser à dire aux parents « ce qui va bien et non toujours les choses qui ne vont pas » et éviter les rencontres au cours desquelles le parent se retrouve « seul contre tous », lors d’une équipe éducative, par exemple. Cet entretien ne doit pas forcément se dérouler dans la salle de classe, avec le professeur assis à son bureau et le parent sur la chaise des élèves, car cela ne permet pas « une relation d’égal à égal, dans le respect mutuel ».

Figure 3 * : Intervention de Jacqueline Steg, Militante Quart Monde.

L’organisation de cafés des parents, ou même de bals de rentrée réunissant enseignants, élèves et parents a également été proposée. Ces événements doivent cependant être bien organisés, animés et les parents y participant doivent devenir « des ambassadeurs » auprès de ceux qui ne viennent pas, pour créer des liens.

Les militants Quart Monde ont regretté que les initiatives prises par les écoles pour renforcer la communication ne se mettent pas en place plus rapidement et ne soient pas plus nombreuses. Tous ont cependant constaté des évolutions positives ces dernières années et ont espéré que l’expérimentation CIPES permette une réelle prise de conscience de tous les acteurs de l’éducation.

Article rédigé par Julie Clair-Robelet, du service Communication d’ATD Quart-Monde.

Elle a également, à cette occasion, réalisé un podcast au sujet de l’expérimentation CIPES.
Pour écouter le podcast : Cliquez ici

Réunion des équipes enseignantes, le 8 novembre en visio

Cette session a commencé par la présentation d’une synthèse de la rencontre du 15 octobre. À partir de l’exemple fourni par une action menée à l’école maternelle Fournier (voir ci-dessous), les militant·e·s ont pu s’exprimer sur la communication : comment est-elle envisagée par les parents, par les enseignant·es ? Que faudrait-il faire pour qu’elle se passe mieux ?

La directrice de l’école Fournier a précisé les circonstances dans lesquelles l’équipe éducative a décidé d’un questionnaire distribué aux parents sur la question des apprentissages scolaires ; comment les réponses à ce questionnaire ont été analysées ; comment elles ont été retransmises aux parents etc.

Le deuxième temps de réunion (en atelier) avait pour objet de demander à chaque école de présenter ce qui est réalisé en termes de communication.

Trois questions étaient posées :

  • Que faites-vous dans votre école en termes de communication avec les familles ?
  • Quels sont les obstacles que vous rencontrez ?
  • Qu’aimeriez-vous faire pour améliorer la communication ?
Figure 4 : Séance de géométrie :
la rosace – Classe de CM1-CM2

Ainsi, divers moyens de communication entre l’école et les familles furent exposés par chacune des équipes pédagogiques présentes. De nombreuses similitudes ont émergé, mais également des actions singulières dans la plupart des établissements. Chaque équipe a ensuite présenté les limites rencontrées du fait de la situation de leur école, les questionnements que cela amène mais aussi les différents axes de réflexion pour y répondre.

Parmi l’ensemble des actions menées, certaines écoles privilégient l’accueil des parents au sein de l’établissement ; favorisent les échanges dans les langues d’origine des parents, ; d’autres s’appuient sur des outils numériques ; ou encore privilégient l’aide aux devoirs, des évènements festifs ou bien des jeux pour créer des liens avec les familles. De manière générale, l’ensemble des écoles impliquées utilisent l’entretien individuel avec les familles, notamment en début d’année, afin de créer une relation de confiance avec les parents.

Cependant, la grande majorité des équipes pédagogiques se retrouve confrontée à la difficulté d’impliquer l’ensemble des parents, y compris les plus exclus.

Joyeuses fêtes

L’année 2022 touche à sa fin et c’est l’occasion pour toute l’équipe CIPES de vous souhaiter à toutes et tous d’agréables fêtes de fin d’année. Nous profitons de ces vœux pour remercier sincèrement toutes les personnes concernées pour leur implication au sein du projet tout au long de cette année.

Rendez-vous en 2023 pour la prochaine lettre CIPES !

À bientôt,

L’équipe de coordination CIPES : Marie-Aleth, Blanca, Dominique, Michelle, Sylvie et Valentin.

* Photos : Michelle Olivier. CIPES. 2022.