CIPES, une histoire en construction

CIPES :     « Choisir l’Inclusion Pour Éviter la Ségrégation »

Une recherche participative menée par ATD Quart Monde

Le constat

Beaucoup d’adultes en situation de grande pauvreté n’ont pas suivi une scolarité normale. Ils ont été orientés vers des sections qui s’appelaient alors : SES, CPPN, classes de perfectionnement, mais aussi IME, IMPro. Faut-il le préciser, ces mêmes adultes ne montrent aucune déficience intellectuelle.

Cette situation perdure car leurs enfants vivent la même exclusion et partent vers l’enseignement adapté (SEGPA, EREA…) ou l’enseignement spécialisé (ULIS pour troubles intellectuels et cognitifs, IME, ITEP…).

Les chiffres de la DEPP[1] sont éloquents : Il y a 72,1 % d’élèves de milieux défavorisés en SEGPA[2] et 80 % en ULIS[3].

Ces enfants, placés ainsi hors du cursus scolaire ordinaire, se retrouvent d’emblée dans une formation dont les ambitions sont bien moindres que celle de l’école (par rapport au socle commun de connaissances, de compétences et de culture, au Diplôme national du brevet).

Là encore les chiffres sont éloquents :

  • SEGPA : 5 % des élèves sont inscrits au Diplôme nationale du brevet et 1 % l’obtient. 9 ans après l’entrée en 6ème SEGPA, 37 % des élèves ont un CAP, souvent non choisi. Les autres n’ont rien.
  • ULIS pour troubles intellectuels et cognitifs : il n’y a pas de statistique !

Devenus adultes, ces enfants et ces jeunes ont évidemment de très grandes difficultés à trouver un emploi et à pouvoir participer pleinement à la vie de notre société. Cette scolarité « hors norme » est l’une des causes de la reproduction de la grande pauvreté. 

2015

Avis du CESE « Une école de la réussite pour tous » :

Parmi les élèves orientés vers les classes et filières de l’ASH, les enfants issus des milieux de la pauvreté sont sur-représentés.

2016

Le Mouvement ATD Quart Monde se saisit de la problématique

Le Mouvement ATD Quart Monde se saisit de cette question : devant les difficultés scolaires rencontrées par des enfants de milieux défavorisés, l’école peut-elle trouver d’autres solutions que de les sortir du cursus scolaire ordinaire ?
Une enquête en découle donnant lieu au docu- ment de travail : « Grande pauvreté et exclusion du cursus scolaire ordinaire : une réalité incontournable ? »

15 Octobre 2017

« Orientation ou ségrégation scolaire ? »

Une table ronde avec Agnès Van Zanten et des militants Quart Monde intitulée « Orientation ou ségrégation scolaire ? » réunissant 300 personnes et offre aux syndicats, fédérations de parents et mouvements pédagogiques l’opportunité de s’associer à cette démarche.

Octobre 2017 – Février 2018

Croisement des Savoirs

D’octobre 2017 à février 2018, un croisement des savoirs rassemble des parents en situation de grande pauvreté ; des parents de tous milieux ; des enseignant.e.s ; des professionnels de l’Éducation nationale (DASEN, Inspecteurs, psychologues, …) ; des chercheur.e.s.

5 & 6 Avril 2018

Publication des actes des ateliers : « Grande pauvreté et orientation scolaire »

80 participants, acteurs de l’école à différents titres dont des parents en situation de grande pauvreté, travaillent durant deux jours à partir du texte issu de ce croisement des savoirs. Les actes de ces ateliers font l’objet d’une publication : « Grande pauvreté et orientation scolaire ».

7 novembre 2018

Publication de la tribune
« Pauvreté et ségrégation scolaire, ça suffit ! »

Une tribune « Pauvreté et ségrégation scolaire, ça suffit ! » est publiée sur le site du Café Pédagogique. Signée par les partenaires du projet et par 14 chercheurs dénonçant l’injustice reconnue lors des ateliers d’avril 2018 « Grande pauvreté et orientation scolaire », elle propose aux écoles et collèges volontaires de s’engager dans une expérimentation.

Début 2019

Création du COPIL

Création du Comité de Pilotage (COPIL) et d’une équipe de coordination dans le but de suivre l’expérimentation CIPES au niveau national et de veiller à ce que les enfants vivant dans des familles en situation de grande pauvreté soient bien au centre des préoccupations.

2019 – 2020

État des lieux

Phase d’observation des pratiques existant dans les établissements participants. Un état des lieux est réalisé dans chaque établissement volontaire. Il comporte des observations de classes par des chercheurs et des militants Quart Monde, des entretiens avec quelques élèves observés et des personnels de l’équipe éducative ainsi que les réponses des enseignant.e.s à un questionnaire.

Juin 2020

Publication d’un rapport d’observation

Ce document résulte d’une analyse des données collectées par une équipe composée de membres de l’équipe de coordination CIPES, ainsi que de divers chercheurs et formateurs externes. Il est transmis à tous les établissements participants afin de les aider dans la réflexion et l’élaboration du projet CIPES.
Pour lire le rapport : Cliquez ici

2020-2021

Crise de la Covid-19

La Covid-19 touche de nombreux établissements scolaires et ralentit l’avancée de l’expérimentation. La totalité des Collèges quitte le projet CIPES.

À partir de septembre 2021

Début des projets d’école

Chaque école démarre son projet en bénéficiant de l’accompagnement de trois personnes ressources : un ou une chercheur.e ; un ou une formateur.trice de l’AGSAS et une référente.

Les débuts

Dans l’avis du CESE[4] de mai 2015 « Une école de la réussite pour tous », figure ainsi déjà le constat que parmi les élèves orientés vers les classes et filières de l’ASH[5], les enfants issus des milieux de la pauvreté sont sur-représentés. Or les établissements rencontrés lors de cette étude étaient tous engagés dans des réflexions et des actions visant à assurer une réussite pour tous les élèves.

En 2016, le Mouvement ATD Quart Monde s’est saisi de cette question : devant les difficultés scolaires rencontrées par des enfants de milieux défavorisés, l’école peut-elle trouver d’autres solutions que sortir ces enfants du cursus scolaire ordinaire ?

Il s’avérait nécessaire de commencer une véritable recherche sur les causes de ces orientations et sur les évolutions institutionnelles et pédagogiques de l’École.

Cinq étapes successives marquent le début de cette recherche

1ère étape : une enquête

Une vingtaine d’acteurs de l’École concernés par l’objet de la recherche ont été interviewés : enseignants, psychologues scolaires, inspecteurs, parents, médecins scolaires…

Cela a abouti à un document de travail intitulé « Grande pauvreté et exclusion du cursus scolaire ordinaire : une réalité incontournable ? ». Ce document a renforcé la conviction qu’il y avait un réel problème nécessitant d’être clairement explicité pour y apporter des solutions.

2ème étape : rencontre de partenaires et de chercheurs

Avec ce document, l’équipe de suivi de ce travail a rencontré les partenaires avec lesquels le Mouvement ATD Quart Monde avait déjà travaillé en 2011-2012 pour des propositions concernant « Une école de la réussite de tous ». Ces partenaires sont des syndicats d’enseignants (SNES-FSU, SNUipp-FSU, SGEN-CFDT, SE-UNSA), des mouvements pédagogiques (GFEN, AGSAS, CRAP-Cahiers pédagogiques) et les trois principales fédérations de parents d’élèves (FCPE, PEEP, APEL). Il leur a été proposé un travail commun sur cette recherche, ce qu’ils ont accepté.

Dans le même temps, l’équipe de suivi a rencontré des chercheurs dont les travaux concernent le sujet de cette recherche. Il leur a été demandé de réagir au document « Grande pauvreté et exclusion du cursus scolaire ordinaire : une réalité incontournable ? » et plusieurs se sont engagés dans ce travail.

Le 15 octobre 2017, une table ronde avec Agnès Van Zanten intitulée « Orientation ou ségrégation scolaire ? » réunissait 300 personnes et donnait un caractère public à cette démarche en invitant des syndicats, des fédérations de parents et des mouvements pédagogiques à s’y associer.

3ème étape : croisement des savoirs et des pratiques avec les personnes en situation de pauvreté ©[6]

Afin de permettre aux parents qui avaient eux-mêmes vécu cette orientation, et qui la revivaient avec leurs enfants, d’entrer dans cette dynamique de recherche, et afin de poser clairement la problématique de la recherche, un travail en croisement des savoirs s’est déroulé d’octobre 2017 à février 2018.

Ce croisement a réuni les savoirs de cinq groupes de pairs :

  • Un groupe de parents en situation de grande pauvreté ayant des enfants orientés vers l’enseignement adapté ou spécialisé ;
  • Un groupe de parents de tous milieux, soucieux de la réussite de tous les enfants ;
  • Un groupe d’enseignants, dont des représentants des partenaires cités plus haut ;
  • Un groupe de professionnels de l’Éducation nationale (DASEN, Inspecteurs, psychologues, …) ;
  • Un groupe de chercheurs.

Le travail s’est déroulé en trois séminaires de deux jours. Au terme de ce croisement des savoirs, les participants ont rédigé un texte complet, faisant l’accord des cinq groupes de pairs, où ils ont dégagé les causes de ces orientations ainsi que des pistes de réflexions et d’évolutions possibles vers une école plus inclusive. Ce texte a servi de base pour l’organisation des ateliers « Grande pauvreté et orientation scolaire ».

4ème étape : deux jours d’ateliers, 5 et 6 avril 2018

80 participants, acteurs de l’école à différents titres dont des parents en situation de grande pauvreté, ont travaillé durant deux jours (5 et 6 avril 2018) à partir du texte issu de ce croisement des savoirs. Ils ont écouté dix chercheurs, qui ont réagi à ce texte et fait part de leurs travaux. A la fin des deux jours, les participants ont conclu que l’orientation d’enfants en situation de grande pauvreté, de manière non justifiée, vers une scolarité normalement réservée à des élèves ayant des difficultés graves et persistantes ou des déficiences intellectuelles constituait une injustice sociale, qui ne doit pas continuer.

Les actes de ces ateliers « Grande pauvreté et orientation scolaire » forment une base de travail pour la suite de la recherche et de l’expérimentation.

5ème étape : publication d’une tribune

Afin de toucher un large public, une tribune « Pauvreté et ségrégation scolaire, ça suffit ! » a été publiée sur le site du Café Pédagogique le 7 novembre 2018. Cette tribune a été signée par tous les partenaires cités ci-dessus et par 14 chercheurs. Elle dénonçait l’injustice reconnue lors des ateliers d’avril « Grande pauvreté et orientation scolaire ».

Elle lançait également un appel aux écoles primaires et collèges qui seraient volontaires pour expérimenter de nouveaux dispositifs institutionnels et pédagogiques pour une école plus inclusive, n’utilisant pas l’enseignement adapté ou spécialisé comme une ressource pour pallier les difficultés scolaires d’enfants qui n’en relèvent pas. Ces écoles et ces collèges accepteraient de remettre en cause leurs pratiques habituelles pour aller vers des voies nouvelles dans la classe et hors de la classe.

Les établissements volontaires

En réponse à la tribune, une vingtaine d’écoles primaires et collèges, répartis sur toute la France, se sont dit intéressés par cette initiative.

Il s’agissait alors de construire avec ces établissements un processus d’expérimentation sur cinq ans pour pouvoir constater ses effets sur une cohorte d’élèves en école élémentaire, maternelle et/ou collège.

Le processus d’expérimentation CIPES

Comité de Pilotage et Cahier des Charges

Début 2019, un comité de pilotage a été créé dans le but de suivre l’expérimentation au niveau national et de veiller à ce que les enfants vivant dans des familles en situation de grande pauvreté soient bien au centre des préoccupations.

Il comprend des membres de l’équipe de coordination, un délégué national d’ATD Quart Monde, des représentants de syndicats (SE-UNSA, SGEN-CFDT, et SNUIpp), des représentants de mouvements pédagogiques (AGSAS, Crap-Cahiers Pédagogiques, GFEN), de la FNAREN, de représentants de l’institution, dont un Recteur d’Académie, un IA-IPR, des représentants de laboratoires de recherche (LACES, LAPSYDE, Théodile CIREL,) et des représentants de fédérations de parents d’élèves (APEL, FCPE et PEEP). Une militante et un militant Quart Monde ont rejoint par la suite le comité de pilotage.

En février 2019, ce comité s’est réuni pour écrire le cahier des charges de l’expérimentation qui doit servir de ligne directive tout au long du processus élaboré et mis en place dans les établissements volontaires.

L’état des lieux (2019-2020)

Le début du processus a été marqué par une phase d’évaluation des pratiques existantes dans les établissements participants. Une quinzaine de chercheurs et l’équipe de coordination CIPES ont écrit un protocole pour un état des lieux à effectuer dans chaque établissement engagé dans cette expérimentation. Celui-ci comportait des observations de classes (GS, CP, CM2, 6ème) par des chercheurs et des militants Quart Monde, des entretiens avec quelques élèves observés et des personnes de l’équipe scolaire (principal, directeur, CPE, agents de service, Atsem, AESH, animateurs, etc.). Par ailleurs, un questionnaire à remplir informatiquement a été envoyé à tous les enseignants de ces établissements.

Analyse des données et rapport d’observation

Une analyse des données collectées a été entamée par une équipe composée de membres de l’équipe de coordination CIPES, ainsi que de divers chercheurs et formateurs externes, avec le but d’offrir aux équipes engagées un rapport d’observation général issu de l’ensemble des états des lieux. Ce rapport a été transmis à tous les établissements participants, afin qu’il puisse les aider dans la réflexion et l’élaboration du projet CIPES propre à leur établissement.

Projets des établissements

Chaque équipe éducative, après réception du rapport d’observation, a rédigé un projet présentant les axes de travail qu’elle envisageait de mettre en place pendant les cinq années de l’expérimentation. Ainsi, elle est partie de ce qui était déjà en place dans son établissement, a présenté ce qui posait question et a proposé des pistes de travail pour améliorer la réussite des enfants en situation de pauvreté au sein du système scolaire ordinaire.

Ces projets, très divers car élaborés à partir des conditions spécifiques à chaque établissement, ont été étudiés et validés par le comité de pilotage.

Accompagnement des établissements

Tout au long de la recherche-action, c’est-à-dire du processus d’analyse, de réflexion et de mise en place de nouvelles pratiques et démarches, les établissements sont accompagnés par deux personnes, un référent issu de l’équipe de coordination et un chercheur-accompagnateur.

Par ailleurs, des membres de l’AGSAS (Association des Groupes de Soutien Au Soutien, voire https://www.agsas.fr ) proposent aux équipes un accompagnement spécifique grâce à des temps d’analyses de pratiques.

Les équipes peuvent également bénéficier de divers temps de formation, ainsi que de moments d’échanges et de discussions entre établissements participants.

Évaluation finale

Une évaluation est prévue à la fin des cinq années d’expérimentation, afin de dégager les principes et les actions à retenir.

Un état des lieux sera à nouveau organisé dans chaque établissement participant. Puis une analyse des différentes évaluations locales cherchera à mettre en évidence des pistes de dispositifs, de postures, d’initiatives, d’innovations contribuant à la réussite scolaire de tous les enfants-élèves, sans orientation abusive.

Ces résultats de la recherche participative CIPES permettront de formuler des propositions visant une généralisation dans d’autres établissements afin d’œuvrer plus largement pour l’inclusion des enfants issus de familles en situation de grande pauvreté au sein de l’école « ordinaire » et de la société dans son ensemble.


[1]Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance

[2]Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté

[3]Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire

[4]Conseil Économique, Social et Environnemental

[5]Adaptation scolaire et Scolarisation des élèves Handicapés

[6] Pour en savoir plus sur le croisement des savoirs et des pratiques avec les personnes en situation de pauvreté © : Cliquez ici