Nous commençons cette lettre avec une triste nouvelle, l’équipe de coordination CIPES vient de perdre un ami cher.
Alain Pothet, membre du COPIL de CIPES et de l’équipe de recul, allié d’ATD Quart Monde, est décédé brutalement le 12 décembre.
Sa longue expérience de l’éducation prioritaire et sa passion pour l’enseignement et la transmission des savoirs sont précieuses pour nous aider à approfondir des questions parfois bien complexes.
Il est avec nous depuis les prémices de CIPES : il a participé au premier Croisement des Savoirs, puis à la mise en place du comité de pilotage avec la rédaction de la charte. Il va nous manquer !
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Vous trouverez dans cette dernière lettre de l’année 2023 le récit d’exclusion de Jacqueline, militante Quart Monde ; les retours et témoignages des dernières rencontres ; une visite au Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski et la réaction d’ATD Quart Monde aux annonces du Ministre de l’éducation.
Nous profitons de cette Lettre pour vous souhaiter de belles fêtes de fin d’année dans vos écoles et avec vos proches et nous nous retrouverons en 2024 !
Témoignage d’une militante la journée du 30 mars
Le récit de Jacqueline
« C’est par rapport à mon petit-fils, c’était en dernière année de maternelle. Il avait comme un genre de petit test à faire au sujet des couleurs, des symboles, il devait dire à l’oral ce qu’il voyait sur le tableau, une voiture, une maison, un bonhomme, une femme, une dame … et lui, il avait bien répondu à tout en fait, mais à sa façon à lui, comme nous on parle à la maison, avec nos mots à nous en fait, et devant tout le monde, je ne sais plus qui il y avait, je ne vais pas en inventer, elle lui a dit « euh, tu peux parler français ?
Nous on te comprend pas, tu parles comme une vache espagnole, parle normal, en fait ». Alors le gamin, ben je suis normal, je parle normal, c’est ça, c’est ça, c’est ça (geste pour désigner), lui il était clairement persuadé que c’était ça. Ce qu’il y a, c’est qu’elle lui a dit « t’es pas chez papa et maman, t’es à l’école quand même, tu pourrais parler au moins correctement ». Et le gamin, il savait pas quoi répondre. Il dit « oui, je verrai ça … » il savait pas quoi répondre après, pour lui une maison, comme nous on parle, c’était …. Avec ça, toute la journée, toute la journée, il a baissé la tête parce qu’il s’est fait engueuler devant tout le monde, alors que lui il savait qu’il avait bien répondu. Même au niveau des couleurs, l’arbre, la maison… Et le gamin il en a souffert de ça par contre. Il disait « Mémère, j’ai quand même bien répondu, c’était quand même bien ça ! ». Et je dis oui, mon petit il reste marqué. Ça été blessant pour lui, ça par contre il l’a encore là. »
Réunion du comité de pilotage du 12 octobre 2023
Étaient présent·es :
Jacques Bernardin (GFEN) Jean-François Chanet (PU) Roland Dysli (président AIRE-ITEP) Marie-Aleth Grard (CIPES) Catherine Hurtig-Delatre (ICEM) Rose Join-Lambert (AGSAS) Yannick Kiervel (SE-UNSA) Gwenaël Le Guevel (SGEN CFDT) Sofia Martinez (CIPES) Dominique Piveteaud (GFEN) Alain Pothet (IA-IPR) Roseline Prieur (CRAP) Benoit Reboul-Salze (DN ATD Quart Monde) Dominique Reuter (CIPES) Philippe Watrelot (professeur SES militant pédagogique) Marie-Françoise Wittrant (PEEP)
La réunion a débuté par l’accueil des nouveaux participants et Marie-Aleth Grard a dressé un rapide historique de la recherche, en rappelant le constat à l’origine de ce projet, celui des fréquentes orientations précoces d’enfants des milieux défavorisés et vivant des situations de grande pauvreté dans leurs familles vers des filières spécialisées, qui ne leur permettent ni de développer leur intelligence à égalité des autres, ni de choisir des cursus qu’ils et elles auraient pu souhaiter. Elle a ensuite précisé que nous cherchions donc à décrire et à comprendre comment des enfants, petit à petit, se retrouvent exclu·es de l’école et du parcours « ordinaire ». Quelques jalons précisent cet historique.
L’engagement des écoles et collèges
En 2019 une vingtaine d’écoles et de collèges se sont engagés dans cette expérimentation. La pandémie et ses effets expliquent le retrait de certains établissements, l’accueil d’autres, ainsi que les rythmes différents d’avancée des équipes éducatives dans la recherche. Actuellement 13 écoles maternelles et/ou élémentaires, la plupart en REP ou REP+, poursuivent ce projet, qui va probablement être prolongé d’un an, soit jusqu’en juin 2025.
De la recherche-action à la recherche participative
Initialement, nous avions nommé cette recherche « recherche-action », sans doute parce que nous nous étions focalisé·es sur le travail avec les équipes éducatives des différents établissements volontaires. Or, nous la dénommons à présent « recherche participative ». En effet, nous sommes autour d’une question « socialement vive », puisqu’elle intéresse en premier lieu les personnes qui sont en situation de grande pauvreté, mais aussi les enseignant·es en tant que professionnel.les et évidement les chercheurs et les chercheuses. Dans cette recherche, trois groupes de personnes travaillent avec un statut identique, trois groupes qui ont des expériences différentes de la question qui est posée.
Après cet exposé, nous nous sommes penché·es sur les derniers temps de travail :
• La journée du 30 juin avec le groupe des militants et militantes Quart Monde.
Ce temps de travail a consisté en des observations de capsules vidéo, tournées dans des classes de CP. Ces observations ont abouti à des discussions de sujets en tension : les règles à l’école, le paradoxe des usages des écrans, paradoxe résumé par un des militants qui dit « à l’école nous on nous dit d’éviter les écrans à la maison et à l’école ils travaillent sur le tableau numérique, qui est un écran » et enfin l’importance de l’accueil.
Les membres du Copil ont questionné la réalisation des capsules vidéo et les modalités d’observations.
• La réunion du 18 septembre avec l’équipe des chercheurs accompagnateurs (en visio)
Tous ces chercheurs et chercheuses accompagnent une ou plusieurs écoles impliquées dans la recherche participative et rendent compte des changements observables que les équipes attribuent à ce travail. Deux des premiers résultats de ces accompagnements sont particulièrement intéressants.
Tout d’abord, il est rappelé que tous les changements ne sont pas observables, certains peuvent être invisibles ou indétectables aux chercheurs/chercheuses, ou être attribués à d’autres causes que le travail mené. Lorsqu’ils correspondent à des observables, ces changements peuvent être individuels (une enseignante raconte un changement de regard, une posture différente) mais aussi collectifs (une équipe adopte un nouveau dispositif d’accueil des parents). L’un des enjeux de la recherche est de discerner les facteurs explicatifs de ces différences entre équipes. Rose Join-Lambert fait remarquer à cet effet, que toutes les écoles qui « bougent » ont accepté l’accompagnement de l’AGSAS.
Ensuite, les changements observés concernent dans la plupart des cas les relations aux familles, ce qui n’a pas manqué d’intéresser le Copil, puisque ce sont ainsi « des occasions d’éclaircissements des perceptions respectives de ce qui se vit, de ce qui est proposé à l’école, etc. » comme le dit l’un des participants.
Les membres du Copil ont également questionné le rôle des chercheurs accompagnateurs dans ces éventuels changements – les initient-ils ? – ainsi que les disciplines de recherche de ces accompagnateurs, en suggérant d’autres domaines qui pourraient éclairer les phénomènes observés (psychologie sociale par exemple).
L’absence de changements observés a fait également l’objet de débats et de questions :
s’agit-il de dénis ? d’acceptation d’un certain taux d’échec ? de difficultés à se questionner ?
La réunion s’est achevée sur ce temps de discussion. Le prochain Copil est prévu au premier trimestre 2024.
Rencontres des équipes éducatives
Villeurbanne, 18 novembre
Montreuil, 2 décembre
Deux rencontres en présentiel ont réuni des enseignant.es, des ATSEM, et des AESH des écoles Anne Franck et Hélène Boucher de Mons-en-Barœul, Louvois de Reims, Saint Joseph de La Trinité-Porhoët, Saints Anges et Sainte Thérèse du Morbihan, Fournier de Lyon, Paul Rivet d’Oyonnax, Albert Camus et Saint Exupéry de Villeurbanne. Un grand merci à toutes les personnes qui se sont déplacées pour participer à ces journées. Ces rencontres ont été des temps riches en échanges pour continuer d’avancer ensemble !
Lors de chaque journée il y a eu des temps de présentation et de questionnements autour de la recherche participative CIPES, des temps de formation autour de la grande pauvreté, des temps de présentation des actions mises en place par les écoles, des temps d’échanges de pratiques autour des thématiques relevées par les participant·es, notamment la relation avec les familles et des situations d’élèves qui interpellent.
Visite du Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski
L’équipe de coordination CIPES a été accueillie le 14 novembre à Baillet en France, au centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski du Mouvement ATD Quart Monde. Nous avons reçu un accueil chaleureux des différentes équipes qui ont écouté avec attention l’historique de notre recherche CIPES, le travail réalisé par les écoles, par les chercheuses et chercheurs, par les militant·es Quart Monde et par les équipe de coordination et de recul.
Après ce temps d’échanges, nous avons pu visiter les différents espaces de travail, d’archivage et de conservation des documents et es œuvres qui témoignent de l’histoire des familles du Quart Monde. Les personnes qui y travaillent nous ont expliqué le quotidien de leur travail, comment elles font pour collecter, classer, conserver et communiquer un véritable patrimoine d’écrits, photos, enregistrements sonores, films et créations artistiques.
Ces archives, qui continuent de s’enrichir, constituent les sources d’une histoire du refus de la misère et des combats pour l’éliminer.
Le Grand Sac de l’Amitié – Haïti
Statuette – Frimhurst
Photo Luc Prisset, Nanterre 1982 – collection « Habiter en Ile-de-France
Les archives du Mouvement conservées au CJW sont souvent les seules archives qui permettent aux personnes en situation de pauvreté de retrouver des traces des lieux de leur enfance, de leurs parents, de leurs grands-parents : par exemple, comprendre la vie et la lutte de ses parents permet de mieux comprendre sa propre histoire et de ne plus porter celle de sa famille comme une honte. Les récits, images, films d’un quartier maintenant démoli, d’une mobilisation pour un droit, d’une action, d’un rassemblement public, d’une rencontre internationale sont régulièrement demandés et permettent à ces personnes très déconsidérées par la société de récupérer des preuves que la vie des personnes les plus pauvres a autant de valeur que celle des autres.
Site web du Centre de Documentation : https://atd-cjw.centredoc.org/
Écoutez le Podcast « À la découverte des archives d’ATD Quart Monde »
Articles et liens d’intérêt
Réactions de Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde, aux annonces du ministre de l’éducation à découvrir ici.
Tribune de l’AGSAS novembre 2023
Un questionnaire sur le harcèlement, mais après ? Le développement de l’empathie, un travail de fond.
Au moment où l’École est attaquée et menacée à travers ses enseignants, une grande inquiétude traverse tout le corps social. Pilier de la république, lieu de savoir et d’émancipation, l’École est fragilisée et mise à rude épreuve. Comment mieux la soutenir, la renforcer et la sécuriser ?
Cliquez ici pour télécharger le document complet en pdf.
Pauvreté : comment sortir de la honte ?
Avec 800 euros et deux enfants qu’elle élève seule, Grace estime qu’il faut entrer dans les détails de sa vie de pauvre : l’absence de frigo, les privations quotidiennes, le sentiment de honte.
Un podcast de France Culture à découvrir ici.