Lettre CIPES n°24

Vous trouverez dans cette Lettre :  le compte-rendu de la rencontre avec les militantes et militants Quart Monde, une présentation des visites et
entretiens dans les écoles, un compte-rendu des dernières formations
en visio, le calendrier des rencontres, les interventions de l’équipe
de coordination et des conseils de lecture.

Rencontre du 13 décembre 2024 à Montreuil
Le curriculum invisible ou les implicites de l’école

Compte rendu des travaux des militant·es Quart Monde

Au cours de la recherche, après avoir observé certain·es élèves et s’être entretenu·es avec elles et eux, les militant·es Quart Monde ont partagé avec les membres de l’équipe de coordination CIPES des éléments d’observation et d’analyse donnant ainsi tout son sens à la notion de recherche participative. C’est ainsi qu’elles et ils ont contribué à rendre plus visibles les phénomènes de mise à l’écart et de mise en retrait. Les militant·es Quart Monde ont aussi repéré ce qui est souvent invisible en termes d’apprentissages, de comportements attendus par l’école et qui semble aller de soi pour beaucoup d’élèves partageant la culture de l’école mais qui fait obstacle pour des enfants issus de familles populaires ou vivant dans la précarité. Il est fait référence ici à ce que la recherche a qualifié de « curriculum invisible » (voir les travaux de Julien Netter par exemple) à savoir ce que l’école n’enseigne pas mais qui est indispensable pour se conformer à ce qu’elle attend d’un·e élève.

La journée du 13 décembre a permis de revenir sur trois dimensions de la vie de la classe identifiées par les militant·es Quart Monde et qui posent question en particulier pour les élèves issu·es de familles vivant dans la précarité :

  • La question de la parole: qu’attend l’école quand elle donne la parole aux élèves et par conséquent qu’est-ce que chacun·e des élèves de la classe sait sur ce qu’on attend de lui/elle ?
  • La question du sens de certaines activités intellectuelles: qu’attend-on de l’élève en classe quand on lui dit : réfléchis, écoute, concentre-toi, sois attentif/ve… ? Qu’est-ce qu’il/elle comprend de ces injonctions ?
  • La question de l’aide: à quel moment un·e élève peut-il/elle demander de l’aide (et à qui ? à l’enseignante ? aux autres élèves) ?

Sous la forme d’un café forum, les militant·es Quart Monde se sont emparé·es de ces trois questions. Voici le résultat de leurs travaux :

Question 1. Qu’attend-on des élèves quand on leur donne la parole ?
Les militant·es Quart Monde ont surtout examiné la dimension dialogique qu’ils et elles ont retrouvée dans beaucoup de classes, à savoir le fonctionnement de séances par le dialogue maître·sse – élèves. Elles et ils ont décrit un protocole fréquent : un·e enseignant·e commence par interroger un·e élève n’ayant pas la bonne réponse avant de donner la parole à ceux et celles qui savent.
1. Une dimension dialogique à expliciter :
  • Quand un·e élève donne une mauvaise réponse, l’enseignant·e doit lui poser d’autres questions pour « essayer de le/la faire tourner autour du problème », pour le/la mettre sur le chemin de la bonne réponse.
  • Le questionnement de l’enseignant·e peut rassurer et aider tou·tes les élèves :

    1. ceux et celles qui n’ont pas compris (sous réserve qu’il y ait ce travail de « tourner autour »),
    2. ceux et celles qui n’osent pas (vaincre la timidité),
    3. mais aussi ceux et celles qui ont donné la bonne réponse mais avec « un autre chemin » (peut-être même erroné).
  • Il faut donner confiance à l’élève pour qu’il/elle ose prendre la parole, en lui donnant une authentique responsabilité : au-delà des tâches habituelles (distribuer les fournitures, effacer le tableau), les militant·es Quart Monde font plutôt référence à des responsabilités que les enfants exercent, par exemple, dans les conseils d’élèves ou dans la gestion des conflits.
2. Le statut de la parole à repenser :
  • Pour les militant·es Quart Monde, il faudrait en finir avec le seul questionnement maître·sse-élève et penser la parole des élèves entre elles et eux. Pour cela, les méthodes pédagogiques qui donnent la parole aux élèves dans des groupes remplacent la compétition par la coopération. Car le questionnement habituel maître·sse-élève est fondé sur / crée de la compétition : celui ou celle qui prend la parole (« le/la meilleur·e ») est celui ou celle qui prend le pouvoir et l’autre devient privé·e de parole. Face à cela, « la petite chose qui fait la différence » c’est l’attitude du maître ou de la maîtresse : expliquer que prendre la parole ne veut pas forcément dire avoir la bonne réponse, s’appliquer à interroger tout le monde, avoir un mot encourageant en cas de mauvaise réponse.
  • Penser la parole des élèves entre elles et eux : quand on fait travailler ensemble des élèves « performant·es » avec d’autres qui le sont moins, c’est un apprentissage de l’empathie, du vivre ensemble, de la coopération. « Cela renvoie d’une certaine façon à l’apprentissage de la démocratie et de la citoyenneté. »

Pour conclure cet atelier, une militante Quart Monde fait référence à un moment de classe où l’enseignante interrogeait toujours les mêmes élèves, et elle ajoute ce commentaire : « si on le lui avait dit, elle aurait sûrement regretté de ne pas l’avoir remarqué elle-même. »

Question 2. Qu’attend-on de l’élève en classe quand on lui dit : réfléchis, écoute, concentre-toi, sois attentif/ve… ?
1. Les militant·es Quart Monde se sont d’abord interrogé·es sur le sens que certains termes pouvaient avoir pour l’élève :
  • Se concentrer : c’est penser à ce qu’il ou elle connaît, écouter la consigne, se projeter dans la matière, réfléchir au sujet. Se concentrer c’est donc plein de choses avant de se mettre au travail…
  • Travailler : être attentif·ve ne suffit pas ; un énoncé trop long (trop d’informations) peut être un obstacle ; il faut apprendre à réaliser une seule consigne à la fois, ordonner son travail ;
  • Rapidité : on a constaté que les enseignant·es laissent souvent peu de temps pour réaliser une tâche, par exemple pour lire. Or lire ce n’est pas seulement déchiffrer, c’est aussi comprendre. Selon les élèves, cela va demander des efforts différents. Tous les élèves ne lisent pas au même rythme.
  • Réfléchir : savoir repérer des règles connues pour réfléchir, par exemple en dictée (accord sujet / verbe), en maths (quelle opération utiliser).
2. Les militant·es Quart Monde ont essayé d’imaginer ce que voulait dire « travailler en groupe » pour les élèves :
  • Ce que les élèves comprennent, c’est que chacun·e vient avec son cahier et fait le travail de son côté → Il faut s’organiser au sein du groupe pour travailler collectivement et proposer une réponse unique.
  • Il y a des forts et des faibles → S’attacher à la participation de tou·tes.
  • Les élèves se sentent « entre copains / copines » → Donc pour elles et eux, ce n’est pas du « vrai travail ».
  • La présence de l’enseignant·e dans un des groupes → Accompagnement renforcé pour des élèves ciblé·és.
3. Les militant·es Quart Monde ont aussi fait des remarques sur :
  • La durée de l’activité : différente selon que des élèves aient ou non des difficultés. Quand les élèves sont fatigué·es, on ne peut pas leur demander de se concentrer plus longtemps.
  • L’élève perturbateur/trice : est-ce qu’il.elle comprend ce qu’on lui demande ? Il.elle a besoin de se détendre. Si on lui en demande trop, il.elle décroche, ce qu’on lui demande ne fait plus sens.
4. Pour les militant·es Quart Monde, certaines attitudes qui semblent aller de soi, posent problème à certain·es élèves :
  • Travailler : c’est faire ce que l’on sait déjà faire.
  • Il n’est pas facile de dire « je n’y arrive pas ».
  • Pour être prêt·e à écouter, il ne faut pas avoir autre chose dans la tête (quand on a des problèmes familiaux, on peut être empêché·e).
  • La sanction (punition) ne permet pas de mieux écouter : si je n’ai pas compris, à quoi ça sert d’écouter ?
  • L’enseignant·e utilise un vocabulaire plus compliqué que le mien, je ne le comprends pas.
  • L’enseignant·e est quelqu’un qui exige des choses trop difficiles → cela ne me permet pas de prendre confiance en moi.
  • Parfois, pour ne pas faire d’erreur, un·e élève en arrive à penser qu’il vaut mieux ne pas faire le travail.
Question 3. À quel moment un·e élève peut-il.elle demander de l’aide ? et à qui ?
1. À l’enseignant·e de comprendre qui a besoin d’aide et quand :
  • Souvent les signes pour demander de l’aide ne sont pas explicites : silence, chahut, élève qui bouge sur sa chaise ou qui est timide.
  • Tous les comportements méritent un regard, une interprétation, un questionnement, une réponse de l’enseignant·e. C’est une question de considération. Il faut écouter l’élève et surtout le.la regarder pour comprendre ce dont il.elle a besoin.
  • L’enseignant·e doit comprendre ce que les élèves ressentent car « les élèves ont leur ressenti de savoir s’ils et elles peuvent s’entraider ou pas ».
  • Pour demander de l’aide, un·e élève doit prendre confiance en lui.elle ; il ou elle doit trouver la force, parfois se faire violence. Sinon il.elle se renferme et n’ira pas au bout.
2. Importance de l’entraide :
  • Les élèves ressentent mieux que l’enseignant·e les difficultés des un·es et des autres (par exemple, trop de soucis dans la tête des élèves entraîne un manque de disponibilité pour se mettre au travail). L’entraide entre élèves qui se connaissent : ils et elles emploient un langage commun plus accessible que celui de l’enseignant·e.
  • L’entraide c’est très important, ça apprend à communiquer, à aller vers les autres, à travailler ensemble. On ne peut pas apprendre tout·e seul·e. (cf aussi question 1, partie 2)
  • L’entraide apprend le savoir vivre et le savoir être et évite la compétition. (cf aussi question 1, partie 2)
3. Effets bénéfiques de l’aide :
  • Fierté : Les élèves qui allaient aider étaient fiers !
  • Encouragement : C’est bien, ça encourage !
  • Gain de temps : Enseignants qui gagnent du temps en faisant aider ceux qui y arrivent moins bien par ceux qui y arrivent le mieux.
4. Le statut de l’aide :
  • L’autorisation de l’enseignant·e pour cette entraide n’est pas toujours explicitée… L’élève préfère aller voir un autre camarade malgré parfois l’interdit, il a plus confiance dans son camarade que dans la maitresse. Il a la crainte que la maitresse ne puisse pas l’aider. Des élèves plus doués allaient aider des élèves plus en difficulté sans demander l’autorisation à l’enseignant.
  • L’aide permet d’exercer le droit à la parole que donne l’enseignant·e. (cf aussi question 1, partie 2)

Pour conclure :

Les travaux de cette journée montrent que les militant·es Quart Monde ont une conscience aigüe des relations entre inégalités sociales et inégalités scolaires : comme l’expriment par exemple les nombreuses remarques sur le lien qu’ils et elles font sur attention/concentration/prise de parole et situation personnelle de l’élève ou sur les différences de langage maitre·sse/élèves. Ils et elles relèvent le poids de la connivence et des implicites. Ils et elles ont perçu que les élèves pour réussir doivent savoir des choses  que  l’école ne leur a pas apprises (se concentrer par exemple). Par ailleurs, les militant·es Quart Monde ont évoqué des pratiques pédagogiques qui à leurs yeux pouvaient rompre avec ce fatalisme de l’échec scolaire : mise en place de situations de coopération, de soutien entre pairs, explicitation plus grande pour éviter les malentendus langagiers et cognitifs. Ils et elles ont clairement explicité que l’espace de la classe devait être plus démocratique (droit et statut de la parole de l’élève et exercice de la responsabilité).

Les réflexions auxquelles ont abouti les militant·es sont en résonnance avec les travaux de chercheur·es comme Sylvain Connac, Stéphane Bonnery, Julien Netter ou Catherine Hurtig-Delattre qui proposent aux enseignant·es engagé·es dans CIPES des formations en visio. On regrettera donc d’autant plus de n’avoir pas pu organiser (faute de participant·es) une rencontre avec les enseignant·es pour partager le fruit du travail des militant·es Quart Monde.

Préparer le bilan de la recherche : une dernière visite et des entretiens dans les écoles

Pour rédiger un bilan complet, l’équipe de coordination doit s’emparer de tout le matériau accumulé pendant ces presque six années qu’a duré la recherche CIPES.

Un nouveau questionnaire individuel a d’ailleurs été adressé à l’ensemble des enseignant·es et le nombre conséquent de retours en permettra une analyse intéressante, sur l’implication et ses obstacles, sur l’apport des diverses modalités de travail proposées, ou encore, par exemple, en termes de comparaison par rapport à celui de 2019, sur les représentations de la grande pauvreté.

Pour donner corps et humanité à cet exercice de bilan, ce sont également des rencontres et des entretiens qui se déroulent depuis quelques mois avec des différents acteurs de la recherche : rencontre et réalisation de capsules vidéo individuelles pour les militant·es, journée de séminaire avec les chercheur·es, entretiens avec des élèves de CM2, et depuis le mois de janvier 2025, entretiens dans les écoles engagées avec des personnes impliquées à différents titres dans la recherche.

À cette date, grâce aux directions d’école qui ont été sollicitées pour organiser ces entretiens réalisés sur place par deux membres de l’équipe de coordination, cinq visites ont déjà eu lieu (Lyon, Oyonnax, Villeurbanne, Reims, les écoles du Morbihan) et celle de Mons-en-Barœul aura lieu les 13 et 14 mars. Une liste type des entretiens souhaités leur avait été adressée. Nous avons ainsi, à quelques exceptions près, interviewé dans chaque école le ou la directeur·rice, un·e enseignant·e impliqué·e dans le projet CIPES de l’école et un·e enseignant·e peu impliqué·e (quelles qu’en soient les raisons), un ou des membres du RASED, un·e AESH, une ATSEM (en maternelle), des personnels du périscolaire (cantine essentiellement), un partenaire engagé dans une action CIPES de l’école et des parents d’élèves. Une infirmière scolaire, présente dans les locaux de l’une des écoles lors de notre visite, a également accepté un entretien.

Si l’ensemble des personnes ayant accepté l’entretien n’étaient pas toujours très au fait de la Recherche CIPES, ces échanges ont cependant permis de questionner la grande pauvreté, les inégalités constatées à l’école et les recommandations que nous pourrions émettre au titre de la recherche.

Les rencontres du 21 mars (pour le groupe des militant·es) et du 22 mars (pour l’ensemble des acteurs de la Recherche) permettront de se réunir une dernière fois, de construire ensemble une pièce de ce bilan, en attendant la restitution des travaux prévue le samedi 24 janvier 2026.

Temps de formation en visio

La coéducation par Catherine Hurtig-Delattre1

En plaçant son intervention au cœur de la recherche CIPES, dans laquelle elle est partie prenante puisqu’elle accompagne l’une des écoles engagées, C. Hurtig-Delattre a commencé par une question : les parents qui vivent en situation de grande pauvreté sont-ils « des parents comme les autres » ?

Ceux que l’on dit « éloignés de l’école » mais qu’il faudrait plutôt considérer comme ceux « que l’école a éloignés » ont effectivement des préoccupations particulières qui agissent dans leur rapport à l’école. La formatrice s’appuie sur ce qu’en disent les militant·es Quart Monde. Un mélange de confiance et de défiance envers l’école, un sentiment d’injustice au regard des discriminations vécues, un rapport au temps et à l’espace qui peut leur être propre, et une culture, des valeurs différentes, soit un ensemble d’éléments qui méritent d’être pris en compte pour que la coéducation soit possible.

En prenant pour référence les travaux de Sylvie Rayna, C. Hurtig-Delattre définit ensuite ce qu’est la coéducation et qui est concerné par ce concept dans la vie de l’enfant (par exemple au regard du BO d’octobre 20132), avec ce que cela peut entraîner en termes de discours divers, sans forcément de cohérence entre eux. Ce qui se traduit par des modèles d’inspiration différente pour la mise en œuvre de la relation école familles.

Elle s’attache ensuite à décliner les enjeux de la coéducation avec ces familles qui « n’ont pas les codes ». Elle développe 4 modèles de coéducation, puis 3 postures pour une coéducation en pratique (Explicitation, Coopération et Parité d’estime) et enfin, 4 verbes d’action pour instaurer cette coéducation dans l’école : accueillir, impliquer, informer et dialoguer.

Dans un souci d’explorer de façon très concrète ce que cela signifie pour les deux acteurs impliqués à ce titre à l’école, elle interroge le « devenir parents d’élèves » et le « devenir professionnel·le de la coéducation ».  Et comme d’autres intervenant·es l’ont déjà signifié, tout cela nécessite une formation pour étayer ces gestes professionnels.

Pour les enseignant·es qui souhaitent poursuivre la réflexion, C. Hurtig-Delattre a terminé son intervention en proposant une riche bibliographie/sitographie, faisant appel à différents champs disciplinaires, que CIPES tient à leur disposition.


1 Catherine Hurtig-Delattre est ex chargée d’études à l’IFE, actuellement retraitée, membre de l’ICEM-Pédagogie Freinet. Elle a coordonné l’écriture de l’ouvrage « Coéducation Des clés pour une responsabilité partagée » aux éditions CANOPE.
2 Renforcer la coopération entre les parents et l’école dans les territoires :
https://www.education.gouv.fr/bo/13/Hebdo38/REDE1324999C.htm

Les malentendus sociocognitifs par Stéphane Bonnery3

Par un rappel historique sur la construction d’un système scolaire qui maintient, malgré des ambitions de démocratisation, des inégalités sociales, S. Bonnery insiste sur le fait que cela a impliqué une forte évolution de l’école primaire et donc du métier d’enseignant·e.

Il indique que ses recherches s’inscrivent dans les travaux de l’équipe ESCOL sur les rapports aux savoirs et que l’expression « malentendus sociaux cognitifs » a été formulée par Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex. Il fait le constat que chaque cycle du système accueille des élèves qui ont un niveau différent au départ et creuse les écarts. Pourtant, précise-t-il, les enseignant·es sont de bonne volonté et les parents ne sont pas démissionnaires. Bien au contraire, ils ont envie que leurs enfants apprennent !

Et pour illustrer ce propos, S. Bonnery donne l’exemple d’un travail où les premières questions sont purement factuelles alors que la dernière, celle qui correspond à l’objectif réel de la séquence, demande à l’élève de franchir un cap pour dégager un savoir. Alors que cela, nombre d’entre eux ne peuvent le soupçonner. C’est là que se situe le malentendu sur le plan cognitif et socialement situé. Car on n’apprend pas la logique scolaire aux élèves et a fortiori pas à celles et ceux qui n’ont que l’école pour l’apprendre !

Pour lui, la réponse ne réside pas dans le fait d’enseigner ce que les enfants vivent dans leur milieu au prétexte qu’ils.elles seraient alors reconnu·es et légitimé·es, au risque de ne construire que du vivre ensemble, voire une forme de communautarisme.

Traiter cet écart ne peut se faire non plus sur le mode de l’évidence, comme si tou·tes les élèves étaient dans la familiarité avec la culture savante car cela produit ce que Bourdieu et Passeron4 appelaient des implicites culturels. Seul·es certain·es élèves ont appris à transformer les objets qu’ils.elles rencontrent en objet d’études (ce qu’Elisabeth Bautier nomme la secondarisation) et peuvent alors conceptualiser des notions sans les enseignant·es. L’école est donc bien le lieu où l’on prend du pouvoir à penser, d’une manière complémentaire, ce que l’on fait au quotidien.

Bonnery insiste lui sur l’importance du temps : plus les élèves viennent de milieux populaires, plus ils.elles ont de choses à apprendre et donc plus ils.elles ont besoin de temps ! Si on veut que chez tou·tes les élèves la rencontre entre les savoirs et les capacités de pensée soit possible, si on veut que tou·tes comprennent que l’histoire ou la géographie s’étudient au travers de concepts (les notions d’absolutisme ou de relief, par exemple), il faut du temps !

Pour conclure, il affirme qu’il faudrait repenser les programmes dans un objectif plus égalitaire, plus démocratique, de ce qui est apprenable par une classe d’âge, en prenant pour repères un·e enfant qui n’a que l’école pour apprendre, avec des parents qui certes reconnaissent l’importance de l’école mais qui ne peuvent pas, le soir, décoder les objectifs cachés de la leçon, ceux qui n’ont pas été clairement explicités en classe.


3 Professeur en sciences de l’éducation, CIRCEFT-ESCOL, Université Paris 8.
4 Les Héritiers, Les étudiants et la culture ; Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, 1964

La coopération par Sylvain Connac

La séance de formation proposée par Sylvain Connac5 le 4 juin 20246 et consacrée aux principes d’une pédagogie coopérative efficiente, avait suscité de nombreuses questions et l’envie d’en savoir davantage. Sylvain Connac a donc volontiers accepté une nouvelle rencontre avec les enseignantes et enseignants participant à la recherche. Celle-ci s’est déroulée en Visio le 2 février dernier. S’appuyant sur les témoignages de pratiques de classe et sur les questions des enseignant·es, Sylvain Connac est revenu sur ce qu’il nomme la pédagogie du colibri7 – image empruntée au pédagogue André de Peretti – qu’il a définie comme « une pédagogie où chacun fait sa part et où le maître construit du collectif. »

Sylvain Connac explique qu’on ne peut pas imposer à un·e enfant d’être aidé·e. Le meilleur apprentissage pour pouvoir demander cette aide c’est d’abord d’aider : c’est une question de dignité.  Il prend alors l’exemple d’une pratique très répandue dans les classe : celle des métiers (ou des services) présents sous forme des « roues des métiers » qui tournent chaque semaine pour confier à chaque élève une tâche différente. Cette pratique qui repose sur un souci participation de tou·tes les élèves, génère en fait des comportements d’assisté·es. En effet, que l’on réalise bien son service ou au contraire qu’on manque totalement de sérieux, la conséquence est la même : la roue tourne. Il n’y a rien à assumer.

Il propose une autre démarche fondée non pas sur le service à accomplir mais sur l’importance de celui-ci pour la collectivité : ainsi, par exemple, même une tâche basique qui consiste à effacer le tableau peut devenir un métier chargé de sens et qui engage celle ou celui qui l’effectue à plusieurs conditions :

  • que l’enseignant·e explique que ce n’est pas à lui.elle de le faire ;
  • que la classe soit consciente de l’importance de la mission (si personne ne le fait, le tableau devient inutilisable) ;
  • qu’un·e élève décide librement d’en prendre la responsabilité et qu’il.elle en assume la gestion aussi longtemps qu’il.elle le voudra – tant qu’il.elle accomplit ce métier avec sérieux.

Cette démarche est fondée sur la responsabilisation et la réflexivité et travaille à la dignité des enfants. La coopération ne consiste pas seulement à rendre les élèves autonomes mais à les rendre responsables. Plus on est coopératif.ve, plus on devient performant·e individuellement. Être responsable, c’est ainsi assumer les choix que l’on a faits et rester fidèle à ses engagements, même quand ceux-ci suscitent quelque chose de désagréable. Pour cela, plusieurs conditions sont nécessaires :

  1. Les métiers sont créés avec les élèves, en fonction des besoins de la classe ;
  2. Chacun·e choisit son métier et celui-ci ne peut pas être pris par un·e autre ;
  3. On le conserve aussi longtemps que possible sauf en cas de manque de responsabilité. Le conseil peut alors décider de l’enlever à son titulaire. Sylvain Connac rappelle que les enfants font preuve de beaucoup de sérieux et font très attention à ce que leur métier ne leur soit pas retiré, car il y a une part d’identité dans ce métier choisi, c’est engageant pour chacun et chacune ;
  4. Pour changer de métier, il suffit d’en parler au conseil.
En conclusion, il s’agit de faire de l’école un lieu de vie authentique et coopérative, basée sur des relations vraies,
– où apprendre prend du sens parce que la classe sert à coopérer avec ses camarades, soit pour transmettre ce que l’on a compris, soit pour ne pas rester seul·e face à un obstacle difficile,
– où être élève c’est être responsable, c’est-à-dire disposer de vraies fonctions que l’on a choisies.

5 Sylvain Connac est professeur des universités en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Montpellier.

6 Voir Lettre CIPES n°22 du 3 juillet 2024.

7 Sylvain Connac, Enseigner sans exclure, la pédagogie du colibri, ESF sciences humaines, février 2023.

Prochaines rencontres

Rencontres en présentiel
  • 21/03/2025 – Militantes Quart Monde
  • 22/03/2025 – Rencontre commune des acteurs de la recherche participative CIPES
Formations en visio à destination des équipes éducatives
  • Le travail scolaire hors l’école avec Julien Netter le 25/03/2025

Interventions de l’équipe de coordination

  • 19/11/2024, Chartres (28), journée de formation SNES/FSU ; « Pauvreté et réussite scolaire ; comment lutter contre le déterminisme social dans le second degré ? »
  • 07/12/2024, Avignon (84), Congrès national de la FCPE « Ce que la pauvreté fait à l’école, ce que l’école fait de la pauvreté » ;
  • 12/12/2024, Colmar (68), congrès du syndicat CFDT éducation, formation, recherche publique d’Alsace « Grande pauvreté et réussite scolaire : les possibles » ;       
  • 30/01/2025, Sotteville les Rouen (76), journée de formation pour le syndicat CFDT éducation, formation, recherche publique de Normandie « Grande pauvreté et réussite scolaire : les possibles » ;        
  • 12/02/2025, pour des personnels éducatifs de Guadeloupe en visio « Grande pauvreté et réussite scolaire : les possibles » à la demande du service de formation du rectorat de Guadeloupe ;
  • 13/02/2025, Bobigny (93), congrès du syndicat CFDT éducation, formation, recherche publique de Seine Saint Denis « Grande pauvreté et réussite scolaire : les possibles ».

  Publications

Relations école-familles et dynamiques inclusives dans l’éducation : les apports des recherches collaboratives
Par Julie Pelhate et Clément Pin

La nouvelle revue – Éducation et société inclusives
2024/4 n° 101 INSEI

La recherche collaborative autour de la relation école-famille : un outil d’objectivation au service du collectif     
Par Caroline Hache, Claudio Paez-Puentes, Abdessadek El Ahmadi et Odile Thuilier, pages 63 à 82  
 
Cette étude présente une recherche collaborative portant sur la relation école-famille, réalisée sur l’année scolaire 2022-2023 dans des écoles maternelles REP et REP+.
https://shs.cairn.info/revue-la-nouvelle-revue-education-et-societe-inclusives-2024-4-page-63?lang=fr&tab=texte-integral
Faire de la recherche avec les professionnels… et les familles ? Obstacles et empêchements d’une démarche inclusive
Par Julie Pelhate et Clément Pin, pages 15 à 34

L’article propose une analyse croisée de deux recherches collaboratives avec des professionnels éducatifs, en contexte d’éducation prioritaire avec pour volonté de revenir sur les relations entre école et familles, sous l’angle de l’autonomie des élèves et de l’aide aux devoirs.

Articles du Café Pédagogique

Cachez cette pauvreté que je ne saurais voir
Par Laurence De Cock

« Comment cet enfant qui ne mange pas à sa faim peut-il se concentrer la journée à l’école ? » Dans cette tribune, Laurence De Cock invite à ouvrir les yeux sur la pauvreté : « On ne lutte pas contre la détresse en détournant les yeux, et on ne prétend pas agir contre les inégalités sans un état des lieux exact de la situation » alerte-t-elle alors que le gouvernement ne répond pas à ATD Quart Monde.

https://cafepedagogique.net/2024/12/17/cachez-cette-pauvrete-que-je-ne-saurais-voir/
L’éducation prioritaire n’est plus… une priorité
Par Yannick Trigance

Dans cette tribune, Yannick Trigance revient sur l’éducation prioritaire, qui n’a de priorité aujourd’hui que l’adjectif. Et pourtant, un élève sur 5 est scolarisé dans un établissement d’éducation prioritaire rappelle-t-il, tout comme la nécessaire « politique globale pour les quartiers en difficulté », santé, logement, culture, accès aux services publics. Pour lui, les leviers existent, « des outils qui dans la lutte contre les inégalités permettraient de rétablir la promesse républicaine, non pas celle de l’égalité des chances mais bel et bien celle du droit à la réussite de tous les élèves ».

https://cafepedagogique.net/2025/03/04/leducation-prioritaire-nest-plus-une-priorite/