En instituant la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), la loi du 11 février 2005 en a fait la charnière de tout le dispositif de réponse sociale aux personnes en situation de handicap. On dénombre un public potentiel de 12 millions de Français susceptibles d’être concernés par la définition légale du champ du handicap établi par la loi, dont 400 000 enfants d’âge scolaire (soit 3,3 %). Instrument majeur de la MDPH, la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) détient la compétence de décision des droits à compensation et d’orientation des personnes handicapées qui la saisissent. En matière d’école inclusive, elle joue un rôle capital du fait de la souveraineté de ses décisions. Mais est-elle le deus ex machina responsable de tout ce qui ne va pas dans la scolarisation inclusive ? La récente alerte lancée par l’association des directeurs de MDPH mérite d’être entendue.
MDPH, CDAPH, quelle articulation ?
Avant la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il existait dans chaque département deux commissions chargées de reconnaître le handicap : la CDES (Commission Départementale de l’Éducation Spéciale) pour les enfants, et la COTOREP (Commission technique d’orientation et de reclassement professionnels) pour les adultes. La loi de 2005 a substitué à ces deux commissions la CDAPH, commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées placée sous la responsabilité d’une instance unique : la Maison départementale des personnes handicapées, MDPH, qui a un statut de « Groupement d’Intérêt Public [GIP], dont le département assure la tutelle administrative et financière ».
La MDPH « exerce une mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap ». Lors de la création des MDPH, une convention constitutive du GIP précisait la nature des concours apportés par les membres, dont l’Éducation nationale. Ce point n’a rien d’anodin, on le verra plus loin.
L’équipe pluridisciplinaire évalue les besoins
Elle doit aussi mettre en place et organiser le fonctionnement d’une Équipe Pluridisciplinaire (EP) qui évalue les besoins de compensation de la personne handicapée et son incapacité sur la base de son projet de vie. « Elle entend, soit sur sa propre initiative, soit lorsqu’ils en font la demande, la personne handicapée, ses parents lorsqu’elle est mineure, ou son représentant légal. Dès lors qu’il est capable de discernement, l’enfant handicapé lui-même est entendu par l’équipe pluridisciplinaire ». En amont de l’évaluation effectuée par l’EP, un formulaire d’évaluation des besoins de la personne est renseigné : le Geva (guide d’évaluation), dénommé Geva-Sco quand il s’agit d’un enfant scolarisé. Le Geva-Sco est renseigné par l’équipe éducative concernée. Il est conçu comme un outil de dialogue entre les acteurs (y compris évidemment les parents). L’équipe pluridisciplinaire propose un plan personnalisé de compensation du handicap, dont le PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation) est un élément important pour les enfants scolarisés.
La CDAPH décide
Et c’est là qu’intervient la CDAPH. Sur la base de l’évaluation réalisée par l’équipe pluridisciplinaire et du plan de compensation qu’elle propose, mais aussi des souhaits exprimés par la personne handicapée ou son représentant légal dans son projet de vie, la CDAPH prend les décisions relatives à l’ensemble des droits de la personne, notamment en matière d’attribution de prestations et d’orientation.
La CDAPH est composée de représentants du département, des services de l’État, des organismes de protection sociale, des organisations syndicales, des associations de parents d’élèves et, pour au moins un tiers de ses membres, des représentants des personnes handicapées et de leurs familles qui sont désignés par les associations représentatives, et enfin d’un membre du conseil départemental consultatif des personnes handicapées. Des représentants des organismes gestionnaires d’établissements ou de services siègent aussi à la commission avec voix consultative. L’Éducation nationale est finalement très minoritaire dans cette commission décisionnaire.
La CDAPH peut s’organiser en sections locales ou spécialisées. Ses décisions doivent être motivées. Quand il s’agit d’orientation, elle est tenue de proposer un choix entre plusieurs solutions adaptées. Concrètement, c’est elle qui a la compétence pour orienter un enfant en situation de handicap vers un établissement médico-social, une scolarisation en unité d’enseignement externalisée, en Ulis, voire en Segpa de collège. Toutefois, lorsque l’orientation concerne un établissement scolaire public (école, collège, lycée), l’affectation – c’est-à-dire la phase d’identification de l’établissement concerné – relève de la compétence du directeur académique du département. Et quand la CDAPH notifie une décision d’aide humaine ou de matériel pédagogique adapté, c’est l’Éducation nationale qui doit la financer et la mettre en œuvre. Une Équipe de Suivi de la Scolarisation (ESS) comprenant les parents de l’élève et pilotée par un enseignant référent est chargée de suivre la mise en œuvre du PPS (avec au moins une réunion par an) et de proposer éventuellement des évolutions à l’équipe pluridisciplinaire via un Geva-Sco de « réexamen ».
Séparer décideur et payeur
Pour simplifier ce schéma de fonctionnement légal, on peut dire que la CDAPH décide des moyens de compensation et de l’orientation. L’Éducation nationale est chargée quant à elle de mettre en œuvre ces décisions. Le législateur a tenu à séparer le décisionnaire de celui qui est chargé d’appliquer les décisions. Avant 2005, on reprochait à la CDES co-présidée par l’autorité académique et le préfet de prendre ses décisions en fonction de considérations liées à la gestion et non à l’intérêt des enfants handicapées. A contrario, depuis 2005, le décisionnaire n’étant pas le « payeur », et le budget de l’Éducation nationale voté par le Parlement n’étant pas en phase étroite avec la hausse continue année après année des décisions « autonomes » des CDAPH, une autre source de tension est née. La question de l’aide humaine et des AESH en est l’expression la plus spectaculaire suivie par celle des matériels pédagogiques adaptés. De là la tentation de dénoncer ce qui pourrait être perçu comme l’irresponsabilité des MDPH-CDAPH soupçonnées de notifier des droits en réponse à toutes les demandes, sans discernement et sans filtre.
La tension est telle que l’association des directeurs de MDPH a publié une lettre ouverte le 11 avril.
Objectif partagé, difficultés renvoyées entre partenaires
Dans cette lettre ouverte, les directeurs des MDPH font le constat que la préparation de la rentrée de septembre 2022 « laisse aux équipes un goût amer face à l’absence de réponses et de décisions quant aux décisions à prendre et aux moyens nécessaires ». Ils estiment que si l’objectif d’une école inclusive est partagé, les difficultés « le sont sans doute moins, conduisant ainsi à un renvoi de responsabilités entre partenaires et à la mise en péril de la scolarisation de certains enfants. Il en est ainsi du nombre croissant d’attributions d’aides humaines, les MDPH reçoivent des demandes en hausse continue et doivent statuer sur des documents fournis et complétés par les familles et les équipes de l’Éducation nationale. L’évaluation, renforcée par les éléments adressés par les enseignants référents, conduit le plus souvent à attribuer cette aide humaine, les éléments du dossier étant concordants et légitimes. Le nombre d’élèves accompagnés ne fait que croître d’année en année, y compris sur les territoires ruraux qui ne font pourtant que perdre des élèves. »
Ce point de vue rend bien compte du schéma fonctionnel voulu par le législateur. Mais l’explication du mécanisme inflationniste ne se situe pas ici : les directeurs de MDPH identifient une carence que le législateur n’avait pas perçue. Il s’agit de l’insuffisance d’accessibilité de l’école, non pas tant sur le plan architectural comme souvent on l’envisage, mais sur le plan « des contenus pédagogiques, du matériel lui-même ». Dès lors, pour les directeurs de MDPH, ce manque d’accessibilité de l’école fait « peser sur les équipes éducatives, les familles, les enfants et tout leur entourage la nécessité de recourir à des Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap (AESH) pour ne pas freiner ou empêcher une scolarisation. » Et « on demande aux équipes d’évaluation de la MDPH d’endosser, par défaut, un rôle de régulateur des demandes parce que l’ensemble du dispositif n’est pas adapté ». Cette analyse rencontre celles de bien d’autres observateurs. L’école inclusive française s’est concentrée sur la question de la compensation, domaine de compétence de la MDPH, au détriment de l’accessibilité, domaine de compétence de l’institution scolaire. Le paroxysme de cette dérive est atteint quand l’école attend des AESH une prise en charge pédagogique adaptée des élèves qu’ils accompagnent, alors que les AESH n’ont aucune formation ni aucune mission d’enseignement et qu’ils sont au sein des classes les acteurs recrutés et rémunérés au plus bas niveau.
Les failles constatées
Dans leur lettre ouverte, les directeurs des MDPH identifient d’autres points problématiques plus ou moins directement liés à cette question. Par exemple, la préférence de mobilisation du PPS (et donc de la MDPH) par rapport aux dispositifs pédagogiques de droit commun d’aide aux élèves comme les PPRE ou les PAP, cela afin d’obtenir pour les élèves des AESH et du matériel pédagogique adapté sans rien changer à l’accessibilité pédagogique. Mais ils constatent aussi qu’il existe autant de départements que de configurations de coopération entre MDPH et Éducation nationale. Le respect de la mise à disposition de personnels aux MDPH prévue dans la convention constitutive pose souvent problème alors que les flux des dossiers à traiter se sont considérablement accrus. Les effectifs sont insuffisants et le régime indemnitaire des enseignants dans les MDPH est très opaque et inégal selon les départements, rendant ces postes peu attractifs.
Pour les directeurs de MDPH, la réglementation nationale, faute d’arbre décisionnel clair et opposable, rend difficile l’appréciation des besoins d’aide individuelle ou de l’aide mutualisée, à la fois dans la distinction entre ces deux types d’aide et dans leur volume horaire (rappelons que réglementairement, il n’y en a pas pour l’aide mutualisée). En outre, ils constatent que les Pial ne sont pas capables d’assurer « la fluidité de l’attribution de l’aide humaine » qu’ils sont censés gérer : « Il persiste dans les territoires une désorganisation et absence de régulation après deux ans de mise en œuvre ».
Enfin, ils déplorent l’insuffisante formation et rémunération des AESH, le manque d’harmonisation et de renforcement des Ulis, et la question des orientations alternatives non existantes ou non mises en œuvre selon les territoires. On pourrait ajouter une autre réalité observée dans de très nombreux départements : le nombre de dossiers à traiter par les équipes pluridisciplinaires est si élevé qu’il devient difficile d’affecter de nouveaux professionnels dans ces équipes, sauf à les couper de leur métier sur le terrain.
Conséquemment, les équipes sont débordées et disposent de très peu de temps pour étudier les dossiers et concevoir des Projets personnalisés de scolarisation consistants et respectant la forme réglementaire. Encore trop souvent, elles n’ont que le temps de lui substituer le Geva-Sco et les décisions sans entrer dans le détail pédagogique des besoins éducatifs. Or, tout cela devrait être précisé dans le PPS pour que les enseignants puissent faire leur travail d’adaptation en connaissance de cause.
Concertation et partenariat réel !
Au final, l’association des directeurs de MDPH demande que soit enfin lancée une concertation « dans de bonnes conditions entre les MDPH, les familles, les associations, l’Éducation nationale, la CNSA, la DGESCO et les ministères concernés pour aborder ces problématiques et proposer des réponses cohérentes ». On pourrait penser que le Comité Départemental de Suivi de l’École Inclusive (CDSEI, institué par décret en mai 2020) est le lieu approprié pour cette concertation. Mais ce serait oublier qu’aucun CDSEI ne peut prendre en charge des solutions qui demandent une harmonisation entre les départements, une modification de la réglementation nationale sur les aides humaines, une harmonisation des indemnités des enseignants en MDPH, une amélioration substantielle de l’emploi d’AESH, ou le chantier de la mise en accessibilité de l’école dans sa manière d’enseigner et sur ses contenus d’enseignement. Et jusqu’à présent, il ne semble pas que le Comité national de suivi de l’école inclusive ait eu l’occasion de se pencher sur ces questions triviales et néanmoins fondamentales dans le cadre d’un véritable travail partenarial et systémique. La MDPH a le dos large certes, mais elle ne peut pas porter tout le poids du monde… inclusif.
Dominique Momiron
Publié sur le Café Pédagogique le 02 Juin 2022.