Nous profitons de ce cette lettre pour vous souhaiter une excellente année 2023-2024, pleine de réussites pour toutes et tous, adultes et élèves.
Dans cette Lettre CIPES, comme pour les précédentes, nous proposons un récit d’exclusion recueilli lors de la journée de rencontre entre militantes et militants du 31 mars 2023. Il est suivi d’une réflexion autour des observations réalisées par les mêmes personnes lors de la réunion de travail du 30 juin dernier.
Témoignage d’une militante la journée du 30 mars
Récit de Patricia
« Une de mes petites filles parmi les cinq a été mise à l’écart par ses profs dès la maternelle parce qu’elle n’arrivait pas à écrire son prénom correctement ! C’est vrai que c’est, elle a été … mise à l’écart directement, elle la mettait dans un coin et elle lui disait « quand tu apprendras à écrire ton prénom, ben tu viendras. » Ensuite la maman elle s’est fâchée et on s’est rendu compte qu’en fin de compte Yolande elle était dyslexique et dysgraphique : c’est pour ça, c’est pour ça qu’elle confondait les lettres. C’est pour ça qu’elle arrivait pas à écrire son prénom. Sa maman elle a été voir un orthophoniste et puis, depuis ce temps-là, et bien ça se passe très bien parce qu’elle arrive…
Et puis moi je me suis rendu compte quand j’étais petite c’était pareil. Quand on était petit à notre époque, nous quand on n’apprenait pas à lire, on s’en fichait… J’ai été voir une orthophoniste et en fin de compte, moi aussi je suis pareil. Des fois… Alors c’est vrai, je me demandais pourquoi des fois je faisais beaucoup de fautes. Mais moi aussi je suis dys, dys, … ah j’arrive jamais à le dire… dysgraphique et dyslexique. Alors c’est vrai que ça doit tenir de famille (rires) mais ça ne m’empêche pas d’écrire correctement maintenant… Apprendre… Aller voir un orthophoniste à 66 ans, c’est quand même ….c’est pas commun mais bon … En fin de compte, on s’en est rendu compte que sur les six enfants qu’elle avait, quatre étaient dyslexiques et dyspraxiques… Mais je, … ma fille elle est courageuse ! »
Une recherche participative : des observations nécessaires
Le vendredi 30 juin s’est déroulée une réunion de travail avec les militants et militantes d’ATD Quart Monde engagé·es dans la recherche CIPES (voir la Lettre n° 18).
Durant la matinée de ce vendredi, nous avons visionné deux capsules vidéos d’une dizaine de minutes chacune, constituées d’extraits d’une journée de deux classes de CP. Il est important de le préciser : une capsule d’une quinzaine de minutes, c’est un parti-pris : celui des personnes qui réalisent le montage et celui de l’équipe de coordination qui demande des ajouts, des retraits… Les capsules visionnées ne sauraient remplacer une journée passée dans une classe. Les personnes ayant assisté au tournage ont d’ailleurs été sollicitées à plusieurs reprises pour expliciter certaines situations, remarques, comportements, … par exemple, un élève dont on pouvait penser qu’il s’excluait du travail avec son camarade, alors qu’il réagissait en réalité par jeu avec la caméra. C’est donc un matériau spécifique qu’il faut considérer comme tel.
Les consignes d’observation sont les mêmes que celles que nous avions adoptées durant les observations de classe lors de l’état des lieux : dire, décrire tout ce qui a interrogé, tout ce qui a surpris, tout ce qui a ému (qu’il s’agisse de colère, de tristesse, de joie, etc.).
Ce travail a permis :
D’émettre des hypothèses … comme lorsqu’une militante relève que « un des élèves se lève, s’en va pendant que la maîtresse parle », et que d’autres avancent : « Il avait peut-être besoin de quelque chose ? » ou « La maîtresse le laisse faire parce qu’elle sait qu’il sait. ».
De comparer les activités … comme lorsque les bénéfices de deux exercices sont interrogés : dans le premier les élèves doivent utiliser des étiquettes sur lesquelles les mots sont donc déjà écrits, tandis que dans l’autre, les élèves doivent écrire eux-mêmes les mots.
De questionner … avec le prisme des expériences des personnes en grande précarité, les effets de l’usage d’un lexique disciplinaire spécialisé, et/ou de la rapidité de l’élocution : « ça peut exclure certains enfants de la discussion », « nous, quand on nous parle, on ne comprend pas toujours ».
De relever des contradictions : « on n’arrête pas de dire qu’il ne faut pas donner des écrans aux enfants et au final à l’école ils travaillent sur des écrans ».
Ce travail d’observation est donc nécessaire pour plusieurs raisons. La première est qu’il transforme le regard porté sur des situations scolaires. La seconde qu’il permet de penser les critères de description des activités proposées dans la classe. Enfin, la dernière raison que nous donnons ici est celle de construire des questionnements partagés. Ainsi ce travail d’observation, que nous menons depuis le début de l’expérimentation, contribue à solidifier la participation de ce groupe de militant·es Quart Monde à la recherche. Non seulement ils et elles sont mieux armé·es pour écouter et entendre les autres groupes de participant·es, enseignant·es et chercheur·euses, mais plus encore peut-être pour penser ensemble les façons de se faire entendre et comprendre de ces autres groupes.
L’après-midi, les militantes et militants Quart-Monde étaient invité·es à réfléchir à la manière de restituer les échanges en sélectionnant ce qui leur paraissait le plus important en termes de réflexion partagée sur les exclusions mais aussi le plus important à faire connaître aux équipes enseignantes.
Travaillant sur la question des exclusions depuis plusieurs mois, les militants et militantes Quart-Monde ont affiné leur regard et la manière de les repérer, de les discuter, et de les comprendre surtout. C’est ce qui fait dire à un militant : « Mon regard sur l’école est plus bienveillant. Tu apprends à juger les autres autrement, à ne plus faire de généralités. »
Cette restitution des échanges fait apparaître des éléments de nature très diverse pour questionner les situations d’exclusion.
L’un des ateliers a choisi de s’adresser aux équipes enseignantes sous forme de questions, dont voici quelques exemples : À quel(s) moment(s) décidez-vous de la répartition et de la place des élèves ? Quelles sont les conditions pour que TOU·TES les élèves travaillent (se mettent au travail) ? Comment ne pas mettre d’étiquette aux fratries ?
L’autre atelier a préféré s’adresser aux équipes enseignantes sous forme de souhaits tels que, par exemple, la nécessité d’une formation des enseignant·es « pour comprendre les élèves » et « pour savoir s’entretenir avec les parents » ; la nécessaire vigilance « pour qu’aucun enfant ne s’enferme dans [une situation de] retrait » ; « la valorisation vs le dénigrement » du travail réalisé par les élèves, etc.
De cette journée de travail, ce qui ressort, c’est la capacité de ce groupe de militants et militantes Quart-Monde à interroger les situations scolaires pour en proposer une critique (positive ou négative, mais en commençant de façon quasi systématique par le positif) mais surtout pour suggérer des pistes de travail qui permettraient, en étant discutées avec les autres parties prenantes de l’expérimentation CIPES, d’imaginer des leviers à mettre en œuvre pour aller, conformément à l’objectif de cette recherche, vers une école véritablement inclusive et surtout non exclusive.
CIPES auditionné au CESE
Le mercredi 20 Septembre Marie-Aleth Grard et Dominique Lahanier-Reuter ont été auditionnées au CESE (Conseil Économique Social et Environnemental) par la rapporteure Bernadette Groison représentante de la FSU dans cette institution et par Emmanuel Woitrain, administrateur de la commission Éducation, Culture et Communication, dans le cadre du sujet d’étude de cette commission, « Réussites à l’école, réussite de l’école ».
Elles leur ont donc présenté les travaux d’ATD Quart Monde, depuis mai 2015 où Marie-Aleth Grard avait présenté au CESE l’avis « Une école de la réussite pour tous », comment depuis cet avis nous avons cheminé jusqu’à la recherche CIPES, ainsi que les travaux, les premiers résultats de cette recherche CIPES.
Les échanges furent nourris et fructueux et nous vous en parlerons plus longuement dans la prochaine lettre CIPES.
Merci Valentin !
L’équipe de coordination CIPES et l’ensemble des personnes présentes au siège de Montreuil ont partagé le verre de l’amitié avec Valentin Zemmer. Il a accompagné l’équipe CIPES pendant 18 mois. Ce fut un plaisir de travailler avec lui.
Nous lui souhaitons de belles et enrichissantes aventures : après la grande pauvreté, les grandes marées !
Les dates à venir
Rencontres des équipes éducatives en présentiel
– samedi 18 novembre à Villeurbanne
– samedi 2 décembre à Montreuil
Prochaine rencontre des militantes et militants Quart monde
– vendredi 15 décembre à Montreuil
Réunion du Comité de Pilotage CIPES
– jeudi 12 octobre en visioconférence
Les membres du comité de pilotage CIPES
Le comité de pilotage est le lieu de réflexion avec nos partenaires. Il a pour but de maintenir l’éthique du projet et il est garant que les enfants vivant dans des familles en situation de grande pauvreté seront bien concerné·es par l’expérimentation.
Il comprend des membres de l’équipe de coordination, un délégué national d’ATD Quart Monde, deux militant·es Quart Monde, des représentant·es de syndicats (SE-UNSA, SGEN-CFDT, et SNUIpp), des représentant·es de mouvements pédagogiques et associations (AGSAS, Crap-Cahiers Pédagogiques, FNAREN, GFEN, ICEM Freinet, AIRE-ITEP), un représentant de l’Institution, des représentant·es de laboratoires de recherche (LACES, LAPSYDE, Théodile CIREL,) et des représentant·es de fédérations de parents d’élèves (APEL, FCPE et PEEP).
Bibliographie
Références : Lahanier-Reuter, D. (2023). Penser les exclusions hors du parcours « ordinaire » des élèves en situation de grande pauvreté. Dans : Magdalena Kohout-Diaz éd., Éthiques inclusives en éducation : Recherches, contextes et pratiques (pp. 85-99). Nîmes : Champ social.
https://www.cairn.info/ethiques-inclusives-education–9791034608102-page-85.htm
La question du lien entre inégalités scolaires et inégalités sociales est une question qui traverse les dernières décennies et qui se décline sous de multiples formes. Celle qui nous occupe ici est celle des orientations scolaires subies par des élèves en situation de grande pauvreté ou en très grande précarité. Cet intérêt n’est pas nouveau, comme nous allons le montrer plus bas. Mais il est devenu central pour le mouvement ATD Quart-monde dans des circonstances particulières. En effet, ce mouvement a consacré plusieurs années à travailler sur « Une école de la réussite pour tous », travail mené avec un groupe de familles en situation de grande pauvreté, qui a pu déboucher sur une saisine du CESEE en 2015 et un second rapport sur les pauvres dans l’école (Grard, 2015). Ces résultats ont pu être considérés comme satisfaisants, car ils montraient les nombreuses possibilités de transformer l’école pour qu’elle accueille et fasse réussir « tous » les élèves. Cependant, il est apparu que nous, qui avions participé à ces travaux, avions parlé de l’école sans en saisir forcément les multiples formes qu’elle offre. Ce n’est qu’une fois les travaux terminés que nous avons mesuré à quel point l’école dont ces familles en situation de pauvreté ou précarité parlaient était une école spécifique. Ces parents en effet avaient eu un parcours scolaire hors des classes ou filières « ordinaires » : CPPN, Clis, Itep, IME, Segpa… que leurs enfants empruntaient à leur tour. Aucun d’entre eux n’avait fait le choix de ces orientations. Et aucun d’entre eux n’avait un bon souvenir de leur scolarité et enfin, aucun n’était détenteur d’un diplôme valorisé.
Quelques écueils méthodologiques dans des recherches participatives avec des parents et des professionnels de l’éducation
https://journals.openedition.org/ree/11659
Références : Dominique Lahanier-Reuter, « Quelques écueils méthodologiques dans des recherches participatives avec des parents et des professionnels de l’éducation », Recherches en éducation.
Dans cet article, nous explorons les spécificités de la prise en compte méthodologique des familles dans des recherches centrées sur la relation école/parents. Nous nous appuyons pour cela sur deux études en cours qui s’organisent toutes les deux autour d’observations de classes par des parents. Nous dégageons ainsi quatre points qui particularisent selon nous la place accordée aux familles dans le processus de recherche : les modes de sollicitation des individus à participer à la recherche, les désignations des acteurs, les garanties apportées pour maintenir ces places, la gestion des éventuelles tensions ou situations émotionnellement fortes et, enfin, les positions des parents au cours des situations de recueil de de données, entretiens, observations, etc.