Témoignage Sylvie Gomas, enseignante maternelle

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  • Ce sujet contient 1 réponse, 2 participants et a été mis à jour pour la dernière fois par Régis Félix, le il y a 4 années et 8 mois.
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  • #209
    Blanca Comas
    Visiteur

    Ici en Alsace nous avons une semaine de confinement de plus et pour ma part mon organisation roule maintenant comme elle peut.
    Je suis dans une école maternelle de Colmar située en REP.  J’ ai 17 élèves dans ma classe 7 PS et 10 GS. Parmi notre secteur de recrutement nous avons les élèves de 2 CADA.
    Je n’avais pas pris au début les mails des familles car je leur avais remis des conseils et des fiches de travail individualisé (pour les GS qui ont des compétences bien différentes mais pas d’élèves ne maîtrisant pas le français, seulement des parents le parlant peu). Je leur avais donné rdv le lundi suivant et leur avait préparé, feuilles d’activités avec tout le matériel de bricolage, de plantation de graines …, mais ce jour-là toute la France attendait la déclaration de confinement et seuls  3 sont venus. Notre inspectrice a téléphoné dans l’école vers 10 h nous demandant de quitter les lieux et interdisant l’accès des parents dans l’école.
    Les locaux avaient été désinfectés (avec les moyens du bord : nettoyeur vapeur) par les ATSEM la semaine d’avant.
    J’ai donc utilisé mon téléphone perso (en numéro caché) pour obtenir des adresses mail. Sur 10 Gs j’en ai obtenu 6 et 1 non valable, sur 7 PS seulement 1. Les 3 éléves en CADA ne sont pas joignables pour moi car je ne parle pas leur langue. J’avais déposé, la première semaine, des activités avec du matériel de l’école (ciseaux, colle) auprès d’animateur de CADA.
    J’ai essayé de faire jouer les relations entre les familles pour obtenir les adresses manquantes et ai retéléphoné en laissant dans mon message l’adresse mail que j’ai créée pour la classe mais ça ne fonctionne pas.
    Parmi les GS il y a une famille sans internet avec qui je communique par téléphone et en utilisant les volontaires en présence qui viennent de s’installer dans l’immeuble où elle réside (merci à eux, ils font le lien en imprimant et déposant les feuilles). Pour les 3 élèves de CADA j’ai fait des envois postaux de fiches de coloriage, découpage avec pour l’une d’elles des feutres et des crayons de couleurs.
    Mes envois par mail distinguent Ps et GS. Je les fais en « CCI » pour respecter leur vie privée. Par semaine une fiche de conseils et d’activités à faire avec du matériel de récupération, une poésie. Et j’envoie deux  défis par jour PS et GS en lien avec le scolaire (trouver 3 mots de 5 syllabes et les dessiner, ranger les lettres de son prénom en ordre)  ou de développement moteur (idée de jeux possible en intérieur « cache-tampon » ou utiliser pinces à linge..)
    J’ai des retours photos, quelques questions… cela me motive. Mais cela reste très frustrant de penser que ceux qui ont le plus besoin de l’école sont ceux qui restent délaissés car je ne sais comment ils reçoivent les envois : injonction à faire ? aide réelle ? et ce qu’ils en comprennent ? et quand on connait les conditions de vie en CADA, partage de coins cuisine, salle de bain et pièce à vivre  comment des familles de plusieurs enfants peuvent elles se confiner ? Je pense à l’une d’elle qui a vécu la violence dans son pays, lors de sa traversée puis dans des squats de Paris et dont les enfants sont suivis par le CMMP car en grande souffrance et sans repère. Tout ce suivi s’arrête et on laisse les gens se débrouiller…
    A prendre en compte tut cela notre confinement est vu comme un luxe dans nos maisons ou appartements douillets et approvisionnés…
    Courage et patience est mon leitmotiv pour vous aussi.

    #259
    Régis Félix
    Invité

    Je reviens vers vous avec de remarques suite à la visite que j’ai faite jeudi dernier à la majorité de familles de mes élèves.
    Grâce à la volontaire Christine Gonzales qui venait de s’installer dans le quartier de mon école, dans un immeuble où vivent 3 familles de mes élèves j’ai pu obtenir des adresses mail de tous les parents qui en sont équipés, pour d’autres adresses mails ce sont des parents qui ont fait le lien. Cependant il reste une famille non équipée qui vit dans l’immeuble de Christine qui donc reçoit et imprime puis leur transmet ce que j’envoie.
    J’ai fait les visites avec Christine afin qu’elle soit repérée par les familles pour des liens ultérieurs.
    J’ai constaté que le confinement était bien respecté, sans doute par peur de la contamination ce qui nous a été clairement dit par certaines mamans. J’ai vu des parents qui se « débrouillaient » et se montraient fatalistes , d’autres très inquiets et une maman en grande détresse. Ce que je sais d’elle c’est qu’elle est suivie par les SS pour un éventuel  placement de son unique enfant, ce qu’elle vit très mal car placée elle même et qui lui laisse des souvenirs très douloureux. Elle a des difficultés à garder son calme avec son fils et sait que ses réactions exagérées mais qu’elle ne sait gérer, peuvent lui porter préjudice. Je l’ai assuré de ma confiance en elle et lui ai fait parvenir des liens de sites qui expliquent comment gérer le stress avant le « pétage de plomb », liens de yoga parents-enfants et des pistes de « sophrologie ».
    Les parents sont très demandeurs d’activités à faire avec leurs enfants, je les sens très démunis et me demande si les bricolages que je leur propose avec du matériel de récupération (emballages…) ne sert pas seulement ceux qui, déjà, avaient ce genre d’activités en famille !  De même les petits jeux à compter ou de phonologie que je conseille. Même la germination de légumes secs a, je pense, posé problème à certains pour qui cette alimentation est inconnue en « frais ». Certains m’avaient dit lors d’appels téléphoniques qu’ils n’ avaient ni lentilles, ni haricots…
    Je garde de ces visites rapides et respectueuses, autant que faire se pouvait, des gestes barrière, la certitude que certains enfants seront des « victimes collatérales » de cette pandémie car des parents ne peuvent, ne savent pas, « faire avec » leurs enfants, les soutenir avec la bienveillance et la patience nécessaires pour progresser dans les apprentissages ; sans doute ne l’ont ils pas vécus eux-mêmes enfants ? Qu’en est-il des parents qui ne savent pas lire et nous le cachaient ? Que peuvent-ils bien faire des conseils ou propositions que j’envoie sur leur portable ? Quelle image donnent-ils alors d’eux à leur enfant ? Ces enfants se voient « voler » deux mois (ou plus) d’école !
    Sur mes 10 élèves de Grande section il y en a un pour qui le maintien en maternelle était une évidence et la maman, avant moi, en parlait déjà et l’acceptait. Mais pour un autre j’avais demandé que la psychologue vienne l’observer et la tester car j’avais des doutes pour son passage en CP et je sais qu’elle a besoin de beaucoup d’encouragements pour progresser et acquérir de bases solides. Il est clair maintenant que je vais devoir proposer son maintien, comment l’annoncer à sa maman que je ne peux rencontrer dans des conditions dignes pour lui annoncer cela ?
    Voilà quelques réflexions que je vous partage. portez-vous bien.
    Courage et patience,
    Sylvie

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