Témoignages de militant⸱es sur l’école à la maison pendant le confinement – Avril 2021

Cinq parents, militants Quart Monde, partagent leurs expériences des confinements de 2020, à la veille d’une nouvelle période de fermeture des écoles.


Les parents s’adressent aux professeurs

A la veille d’une période pendant laquelle les enfants n’iront pas à l’école, les parents s’adressent aux professeurs. La première chose qu’ils leur disent c’est « qu’il ne faut pas [que les professeurs] se découragent, qu’il faut continuer malgré les conditions difficiles. On en a besoin pour nos enfants, pour tout le monde » (Émilie). Ne pas être dans la classe, devant le maître ou la maîtresse « c’est une perte de chance pour les plus en difficultés, qui ont déjà, eux, du mal à suivre dans un cadre long et normal. Ces interruptions ça va les faire couler encore plus. Ces gamins qui sont dans ces difficultés, ils sont sacrifiés pour toute leur vie. Les instits n’y sont pour rien non plus […] il n’y a pas assez de moyens non plus dans les écoles […] ça va être dramatique pour certains enfants. » (Franck).


A partir du premier confinement, Franck parle de sa petite-fille : « Elle avait besoin de sa structure de l’école parce que dans la structure de l’école il y a une pédagogie à laquelle ils sont habitués, il y a un cadre auquel ils sont habitués. Ils ont dans leur tête ce qu’il faut faire pendant la classe. Il y a des règles à tenir, des choses à faire qui sont bien établies et, d’un seul coup, on les coupe comme ça. Faire les devoirs à la maison, faire les leçons à la maison pour des jeunes enfants jusqu’en CM2, moi je trouve que c’est compliqué » (Franck)


Mais alors, si l’école ne se remplace pas par « l’école à la maison », Élodie pose une autre question : « Il y a des choses que je n’ai pas compris et que je ne comprends toujours pas. On sait bien que les enseignants sont aussi importants que les personnels de santé. Pourquoi on ne les a pas fait vaccinés ? Ils sont auprès de nos enfants, des plus petits et on ne les a pas fait vaccinés […] on s’est dit l’avenir des enfants c’est pas important » (Élodie)


Des craintes ressurgissent


L’expérience du premier confinement fait remonter des craintes qui, nous l’espérons, seront atténuées par la brièveté espérée de la période de fermeture des écoles. Il n’empêche qu’elles sont bien là.


En premier lieu vient la crainte du décrochage scolaire de l’enfant pour des raisons de moyens matériels ou financiers. « C’est pas évident de faire des cours sur l’ordi. Il faut déjà que tout le monde ait internet. Pas d’internet, pas d’ordinateur. Des familles ont pas les moyens, tout ce qu’il faut, pour suivre par ordinateur […] faut sortir des fichiers, y a pas d’imprimante, ça commence à être la galère quand même » (Jacqueline). Ce sujet préoccupe tellement Jacqueline qu’un peu plus tard dans la conversation, elle reviendra là-dessus : « Aujourd’hui quand t’as pas internet t’es un gogol. Comment ils font dans les caravanes, quand il faut acheter la clé à des 50 / 60 € par mois. Ça fait un coût énorme pour garder internet dans les caravanes. » (Jacqueline)

Les relations entre les parents et les enseignants sont aussi un sujet de préoccupation. « Ce qui a pris un sacré coup dans l’aile c’est la relation parents-enseignants. C’est plus que compliqué. Clairement cette année, on ne peut pas rentrer dans l’école de nos enfants » (Vincent). On constate en effet que le règlement n’est pas le même dans toutes les écoles maternelles par exemple. Pour les unes les parents peuvent toujours emmener leur enfant jusque dans la classe et dans d’autres c’est interdit. « Il y a des réunions parents-enseignants qui ont été annulées je ne sais pas combien de fois. Avec ATD, on s’est beaucoup battu pour les relations parents-enseignants, et ce virus il a foutu un sacré bazar » (Vincent).


Nous avons dit ci-dessus la crainte pour les enfants en difficulté. Les parents ne se voient pas remplacer le professeur. « On ne s’improvise pas enseignant comme ça. C’est un métier. Nous on fait comme on peut. » (Vincent). Malgré cela, ils ne veulent pas que cette période sans école soit une période sans travail scolaire. « On a un peu peur quand même. Au premier confinement on avait notre grande qui était en CE2. Elle avait pas mal de travail. On passait en moyenne quatre à cinq heures par jour pour faire le travail d’école. Là elle est en CM1, l’autre en CP. J’appréhende un peu. Il va falloir faire bosser les deux grandes avec le petit dans les pattes en plus, ça va être joyeux ! » Vincent et il ajoute : « A la maison, c’est pas comme quand ils sont à l’école, il y a tellement de distractions, tellement d’autres choses à faire que du travail que c’est compliqué de les canaliser ». Tous disent qu’on ne s’improvise pas professeur. « [au 1er  confinement] On voulait qu’elle bosse et la seule façon qu’on a trouvé c’est d’acheter un cahier de vacances distrayant pour elle […] pour la mettre au travail. Et bien là on a commandé deux cahiers de vacances […] du coup ça a un coût financier pour les parents parce qu’on se met une pression totale sur ce confinement là » (Elodie).


Cette absence temporaire d’école fait renaître une autre inquiétude : l’impact sur le climat familial. « Ça met de la tension entre les parents et les enfants. Des fois l’année dernière quand on sentait que c’est trop, on arrêtait un peu. On reprenait l’après-midi ou plus tard. » (Vincent). « Faut surtout faire des pauses. Pas leur faire comme ça deux trois heures d’affilé » (Jacqueline). Cette tension a d’autres répercussions : « [au premier confinement] ma petite-fille en CP au bout de deux jours elle n’en pouvait plus [du travail à faire]. Et puis sa mère a du mal aussi, elle ne sait pas très bien lire, c’était compliqué pour elle. La petite elle avait besoin de la structure de l’école […] La petite n’en peut plus, la mère derrière elle n’en peut plus, parce que c’est des crises permanentes. Ça peut créer des conflits dans les couples aussi. Tout ça fait que ça peut devenir explosif très très vite » (Franck). « C’est la pression, ils subissent la pression » (Émilie).

Parents-professeurs, que faire ?


L’école à la maison en mars-avril 2020 a évidemment marqué profondément les parents. Bons et mauvais souvenirs se mêlent. Citons quelques leçons qu’ils en tirent.


« Dans la cité où je suis, il y en a qui n’ont pas internet. La maîtresse allait leur mettre les devoirs par papier dans les boites aux lettres. Tous les soirs, elle faisait tout le tour du quartier […] A un moment elle avait mis une boite aux lettres volante et elle mettait des devoirs pour ceux qui voulaient en récupérer un peu plus […] Parce que avec l’ordinateur ils ont vite craqué les gosses, ça a buggé, il y avait pas le son, il y avait pas… et cette maîtresse là elle a craqué, elle a dit je vais tout vous donner par papier. Le soir ou le lendemain, les parents mettaient tout dans la boite aux lettres volantes. C’est comme ça qu’ils ont réussi à garder un lien » (Jacqueline)


« Il ne faut pas dérouler le programme comme il devrait se dérouler normalement. Il faut revenir sur les choses qu’ils ont déjà acquises pour les renforcer. Sinon ils vont essayer d’avancer chez eux sans les explications orales de l’instituteur. Ça les coupe de la parole scolaire » (Franck). « Ce sera pas appris comme à l’école » (Jacqueline)


« Il faut y aller progressivement et pas tout d’un coup. Il faut pas mettre la pression, faire l’exercice pour tel jour, faut y aller progressivement à leur rythme. Sinon ils veulent plus bosser » (Émilie).


« Au premier confinement, arrivent les divisions. Ma fille elle n’avait jamais vu ça […] moi je lui expliquais d’une façon, mon mari lui expliquait d’une autre. Ma gamine elle n’y comprenait plus rien. Au final à l’école ils lui ont expliqué d’une troisième façon » (Elodie).


« Pendant le premier confinement, la maîtresse de notre fille leur envoyait des cartes postales personnalisées. Elle en a reçu quatre. Ça les motivait plus que les devoirs. Recevoir une carte, d’abord il faut la lire. Elle n’écrivait pas quelque chose de bateau à tous les enfants, c’était vraiment personnalisé, sur le devoir qu’elle a rendu, sur ce qu’elle a dit au zoom. Elle a pris du temps pour chaque enfant […] les enfants ils ont adoré » (Elodie).


Les parents parlent de leurs enfants


Que manquent-ils aux enfants lorsqu’ils ne vont pas à l’école ? La réponse est immédiate : « S’amuser avec les autres. Dans leur cellule familiale, ils sont habitués à leurs frères et sœurs, à être entre eux. Mais quand ils sont dans un truc scolaire, ils voient d’autres camarades, d’autres enfants avec qui ils s’entendent bien, avec qui ils jouent, avec qui ils ont les mêmes centres d’intérêt […] les interactions avec les autres enfants, c’est hyper important. Ma petite fille, ça l’a déstabilisée parce qu’elle ne voyait pas ses copains ses copines. » (Franck). « Lors du premier confinement, les filles quand on croisait une copine de l’autre côté du trottoir, elles étaient là Ouh..ouh… elles avaient envie de se voir. Et puis là t’es obligé de leur dire non, tu peux pas. C’est super dur pour eux […] Par moment ça réunissait les enfants dans une fratrie. Mais, par moment, les disputes ont même été plus dures pour elles, comme elles ne voyaient que leurs sœurs, elles ne se supportaient plus. » (Elodie).


Pour terminer sur une note d’optimisme, Vincent nous dit « Bon là, c’est juste une semaine, si on en reste là ça devrait aller ! ». Souhaitons tous qu’il ait raison !


ATD Quart Monde – CIPES : lettre aux enseignants – Avril 2021